Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1042

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que depuis peu d’années dans le monde. Avant d’y revenir, il convient d’examiner ce qu’ont été les autres régimes.

Le souvenir de l’état dans lequel étaient nos prisons au commencement de ce siècle est maintenant effacé, et l’oubli couvre déjà le point de départ d’améliorations devenues si communes, que personne ne les remarque plus. Le cœur se soulève à la pensée que les sexes n’étaient pas même alors exactement séparés partout, et que la réforme d’une pareille turpitude a eu besoin d’être ordonnée.

La réunion des condamnés à plus de deux ans d’emprisonnement dans des maisons centrales de détention, tandis que ceux dont la peine était moindre la subissaient dans les maisons d’arrêt des arrondissemens[1], a été la seconde application du principe de la séparation : elle a classé les prisonniers et les a soumis à des régimes différens suivant les degrés présumés de culpabilité. La différence n’a guère consisté qu’en ce que le travail, dont on était de fait dispensé dans les maisons d’arrêt, a toujours été obligatoire dans les maisons centrales, excepté sous le gouvernement républicain de 1848, qui avait imaginé d’ajouter l’oisiveté aux élémens de corruption qui fermentent dans les prisons[2]. Le classement des prisonniers d’après la durée de la détention n’a pas eu sur les condamnés toute l’efficacité morale qu’on s’en était promise. Peut-être aurait-il eu de meilleurs résultats si, au lieu d’être réunis par circonscriptions territoriales, les détenus l’avaient été suivant la nature de leurs fautes ou selon leurs professions. Les passions et les intérêts qui poussent au crime sont trop divers dans leurs sources et leurs tendances pour pouvoir être combattus avec avantage par un régime et des moyens uniformes. Sans établir dans la grande division des attentats contre les personnes et des attentats contre les propriétés des subdivisions d’une application difficile, on aurait pu grouper les condamnés sous des régimes adaptés à leurs instincts et à leurs destinations. Des malheureux qui, dans un accès de rage, de jalousie, de vengeance ou même d’ivresse, se sont portés à des violences criminelles contre leur prochain, sont punis de la même réclusion que des voleurs de profession, et ne sauraient pourtant leur être assimilés. Leur crime peut n’être qu’une tache isolée dans leur vie; leur fureur peut s’être épuisée tout entière sur la personne qui en était l’objet; ils sont souvent d’honnêtes gens en tout ce qui est étranger à la cause immédiate de leur châtiment. Le régime de correction qui convient à leur nature ne convient pas à celle des autres, et réciproquement. Or des régimes différens

  1. L’encombrement de celles-ci oblige aujourd’hui à envoyer dans les maisons centrales élargies les condamnés à plus d’un an de détention.
  2. Voyez à ce sujet une étude de M. A. de Valou sur les Prisons en France sous le gouvernement républicain, dans la Revue du 1er juin 1848.