Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1040

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parmi les forçats eux-mêmes des appréciateurs dont il faut bien accepter la compétence. On sait, d’un autre côté, que rien n’est moins rare en Angleterre que des crimes commis dans le dessein formel d’obtenir des condamnations à la transportation dans les colonies. C’est ainsi que l’habitude de commuer les condamnations à la peine de mort pour délits militaires y ayant établi une sorte de droit, une étrange spéculation s’était glissée pendant la paix jusque dans les rangs de l’armée. En 1853, le gouverneur des Iles Ioniennes s’est vu contraint, pour en arrêter les progrès, de détromper, par l’exécution de plusieurs soldats, ceux qui, dégoûtés du service, prétendaient s’acheminer ainsi vers l’Australie. Un peu de temps est encore nécessaire pour décider si notre établissement de la Guyane démentira les craintes qui sont permises sur l’inefficacité de la transportation.

Investie de l’examen d’un projet de loi général sur le système pénitentiaire, une commission de la chambre des pairs, dans le sein de laquelle il est à croire que les études de M. Bérenger étaient prises en grande considération, proposait en 1847 le remplacement des bagnes par des maisons de travaux forcés sujettes au régime de l’isolement individuel. C’était un degré du régime cellulaire dès lors éprouvé dans plusieurs maisons de détention, et par le fait la peine des travaux forcés, telle qu’on l’a jusqu’ici comprise, n’aurait été à l’avenir pour les hommes que ce qu’elle est depuis longtemps pour les femmes[1], c’est-à-dire une variété de l’emprisonnement. Tout en faisant des vœux très sincères pour un succès des pénitenciers coloniaux qu’il espère peu, M. Bérenger est resté fidèle à sa confiance dans la solution proposée en 1847; seulement les nouvelles observations qu’il a recueillies en Angleterre lui ont fait concevoir des améliorations applicables à tous les condamnés à de longues détentions. Ceci nous conduit à examiner en eux-mêmes le régime et les conséquences de l’emprisonnement, qui deviendrait ainsi, après la peine capitale, la seconde et l’unique forme de répression des crimes ou délits contre les personnes et les propriétés.


III.

Toute prison est une école de perversité d’où l’on sort plus mauvais qu’on n’y est entré. La contagion des vices de l’âme est en effet, comme celle des maladies du corps, plus pénétrante et plus active dans les lieux renfermés qu’au grand air, et le contact entre les méchans n’est jamais si pernicieux que quand il est intime, exclusif,

  1. Code pénal, art. 16 : « Les femmes et les filles condamnées aux travaux forcés n’y seront employées que dans l’intérieur d’une maison de force. »