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France avec les besoins réels des arsenaux auxquels elles sont attachées. Avant 1852, cet effectif était ordinairement de 4,000 forçats à Toulon, de 3,000 à Brest, de 1,500 à Rochefort; il eût suffi du dixième pour les travaux spéciaux qui devraient être mis à la charge des condamnés, et si de pareilles superfétations n’ont pas entraîné de plus fâcheux effets, l’administration de la marine est en droit de s’en glorifier hautement.

Les travaux de terrasse et de maçonnerie sont les seuls auxquels les condamnés soient employés avec avantage dans les bagnes. M. Bérenger a vu sur la côte méridionale d’Angleterre une très belle application de ce système. L’étroite et longue presqu’île de Portland est située au sud de Dorchester, à 120 kilomètres de Portsmouth, à 130 de Plymouth; elle couvre au couchant une baie ouverte au sud-est, aujourd’hui dangereuse, mais dans laquelle deux digues puissantes, l’une de 1,860 mètres, l’autre de 480 de longueur, ménageront bientôt aux vaisseaux de guerre et aux bâtimens de commerce un excellent abri de 500 hectares. Les blocs dont se composent ces constructions gigantesques sont fournis par les bancs de roche élevés qui forment la partie avancée de la presqu’île : les condamnés les en arrachent, les transportent et les précipitent avec le secours de mécanismes ingénieux à la place où, en s’agrégeant, ils doivent à l’avenir arrêter les fureurs de la mer et des tempêtes. Des bâtimens comprenant des dortoirs cellulaires, des logemens de soldats et de gardiens, une église et tous les accessoires d’un grand atelier pénitentiaire, ont été dès 1848 construits par des condamnés sur le théâtre des travaux : 933 forçats y étaient employés en 1851; l’on s’était réservé les moyens d’en porter le nombre à 2,400, et l’on calculait que l’accomplissement de l’entreprise devait durer au plus vingt-cinq ans. En attendant les avantages maritimes promis au pays, une population de criminels se fortifie au physique et s’amende au moral par un rude et salubre labeur, et sans doute la contemplation du grand et patriotique ouvrage auquel l’associe l’expiation qui rachète son passé est pour quelque chose dans la résignation satisfaite qu’elle porte au milieu de ses travaux.

Cette organisation, dont la base est, si l’on peut s’exprimer ainsi, la saturation de travail de l’atelier, n’a encore reçu parmi nous que d’étroites et timides applications. Ce n’est pas que la place manque pour en faire d’aussi larges et d’aussi fécondes qu’à Portland. Pour ne pas s’éloigner des bords de la mer, où la disposition des lieux et la possibilité fréquente de loger les condamnés sur des pontons en facilitent la garde, il ne faut que jeter les yeux sur nos côtes pour y reconnaître cent atterrages où l’emploi des bras des condamnés devrait créer des territoires pour l’agriculture ou des abris pour la navigation. Un seul embarras se présente à l’entrée de la carrière :