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par l’exercice de la générosité publique. La poésie et la peinture s’emparèrent bientôt de ces scènes locales où la sympathie, l’admiration et la pitié s’étaient égalées aux proportions terribles du fléau. On avait vu dans le pays inondé par le Rhin ce que peut le sentiment du devoir aux prises avec la fureur des élémens. Devant une calamité semblable, devant un héroïsme si désintéressé, toute la Hollande s’émut. Une souscription fut ouverte et devint une affaire nationale. Les troncs coururent de ville en ville. La Haye, à elle soûle, contribua pour une somme de 65,000 florins. Dans ce pays, où chacun est en quelque sorte menacé par l’eau dans ses foyers et dans ses autels, il existe entre tous les Hollandais une fraternité touchante et soudaine pour les victimes de chaque grande inondation. Cette compassion naît de la communauté du danger, mais elle est aussi dans le sang, car la race néerlandaise se montre généralement charitable. L’émotion produite par les derniers malheurs s’est étendue au-delà des frontières hollandaises : de la Belgique, de l’Angleterre, de l’Allemagne, des secours sont arrivés aux victimes de l’inondation[1]. Puisse ce généreux mouvement se propager et attirer quelques dons nouveaux sur des populations dont les plaies saignent encore ! La conscience antique frémit le jour où un acteur récita sur la scène romaine ces simples mots : Homo sum, humani nihil à me alienum puto. Il est temps, il est juste que les nations se disent de même : « Je suis peuple ; rien de ce qui arrive aux autres peuples ne m’est étranger. »

Aujourd’hui les traces du dernier déluge ne sont pas entièrement effacées ; les eaux se retirent, mais lentement, et cette retraite découvre de plus en plus l’étendue des ravages. D’énormes troncs d’arbre ont été coupés par la glace ; des maisons pourries par les eaux s’écroulent encore tous les jours. Cependant le paysage renaît. C’est un spectacle tristement beau, unique dans le monde, que cet archipel d’îles, ces fermes, ces campagnes, ces villages sortant avec le printemps des flots d’une mer qui s’abaisse. Semblables à la baigneuse qui secoue au soleil ses membres retrempés et vigoureux, les terres de la Gueldre, de l’Over-Yssel, du Brabant septentrional se remontrent plus fécondes qu’avant l’inondation. Des colombes viennent, comme au temps de Noé, reconnaître que le pays est desséché et ramènent l’espérance. Il était depuis longtemps question de creuser dans la province d’Utrecht un canal vers le Zuiderzée : les eaux, depuis la dernière inondation, ont tracé elles-mêmes le plan de ce

  1. Tout dernièrement encore, une société de musique est venue de Matines donner des concerts en faveur des inondés, à La Haye, à Rotterdam, à Dordrecht. Toutes ces viles étaient pavoisées comme pour une fête. C’était une réconciliation de la Belgique, et de la Hollande sur l’autel de la charité.