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incomparables, » un éloge auquel ses apologistes eux-mêmes ne pourraient rien ajouter?

Porter sur le grand roi un jugement qui fût exempt à la fois d’enthousiasme et de colère, c’était pour un contemporain chose impossible peut-être; l’attendre du duc de Saint-Simon, ce serait espérer sans doute plus qu’il n’est juste de demander à l’esprit de l’homme. Moins que tout autre, Saint-Simon était fait pour comprendre ce que n’a compris d’ailleurs aucun homme de son siècle, ce qui fait pourtant, aux yeux de l’histoire, la véritable grandeur de Louis XIV, je veux dire cette œuvre de concentration universelle, cet achèvement de l’unité politique, administrative et sociale, qui, fondant en un tout homogène les divers élémens rassemblés par les siècles, fit de la France un seul corps dont la royauté fut la tête, dans toutes les parties de ce corps fit circuler une vie puissante, et imprima au génie national, dans toutes les directions, le plus merveilleux élan et la plus féconde activité. Dominé par l’esprit de système et l’esprit de caste, Saint-Simon méconnaît (qui peut s’en étonner?) les hautes pensées, les grands résultats politiques du règne. Les abus, les fautes, obscurcissent pour lui la gloire véritable, et les calamités des derniers jours jettent un reflet sinistre jusque sur les années prospères.

Le roi qu’il a vu, le roi qu’il nous dépeint, ce n’est plus ce Louis jeune et brillant qui s’entourait des Colbert et des Lionne, ardent, mais habile, ambitieux, mais encore modéré, résolu, mais docile aux conseils : c’est le monarque ébloui par la fortune, plein de superbe et d’obstination, ombrageux, défiant, jaloux de son autorité, qui se rend inaccessible dans sa majesté olympienne, et, quand il pense seul tout diriger, se laisse diriger, et l’état avec lui, par la main d’une femme. Que dans ce tableau Saint-Simon ait encore chargé les couleurs sombres, je veux bien l’avouer, et cependant, en dépit de ses injustices, quelle idée ne nous donne-t-il pas de ce roi à qui la postérité a confirmé, malgré ses fautes, le nom de grand ? Qui mieux que lui nous a peint sa majesté tempérée d’affabilité et de grâce, sa dignité naturelle, sa parole facile et juste, sa politesse noble et mesurée? Bien qu’il rende hommage aux qualités de l’homme, qui était né, dit-il, sage et modéré, bon et juste, c’est le roi surtout qu’il admire : le roi lui semble plus grand que l’homme, et en cela son jugement a été ratifié par l’histoire. « C’est là, s’écrie-t-il ému tout à coup par la grandeur de ses souvenirs, c’est là ce qui s’appelle vivre et régner! Il faut convenir que jamais prince ne posséda l’art de régner à un si haut point. »

Il y a quelque chose pourtant qu’il admire plus encore et qui lui arrache un plus magnifique hommage : c’est l’héroïsme de ce vieux