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particulière, pour en étudier curieusement, à loisir et par le détail, la vie intime, les idées, les passions, les mœurs. Sous cette dernière forme, l’histoire est moins élevée, moins imposante ; elle n’est ni moins sérieuse ni moins instructive. Elle voit de moins haut, mais elle regarde de plus près. Si le champ de ses observations est plus étroit, il est mieux éclairé. Sous la légèreté apparente de ses récits, dans la fertilité même des détails qu’elle relève, la nature humaine se montre à découvert : les mœurs revivent, les caractères s’accusent, les passions se trahissent, et dans ces mobiles secrets se révèlent souvent les causes profondes d’événemens qui ont ébranlé le monde. Ce n’est pas l’humanité qu’elle nous raconte, mais c’est l’homme même qu’elle nous fait mieux connaître, l’homme cachant sous le costume d’un pays et d’un temps ce qu’il a d’uniforme et d’immuable, comme ce qu’il a de divers et d’ondoyant.

L’histoire traitée à ce point de vue a trouvé dans Saint-Simon son plus parfait modèle et sa plus haute expression.

On s’est plu souvent à faire remarquer que le XVIIe siècle, dans son admirable fécondité, a été cependant déshérité du génie de l’histoire. Revêtue d’une froide élégance, travestie par le préjugé ou faussée par la flatterie, l’histoire, il est vrai, a perdu à cette époque le caractère de grandeur qu’elle avait au siècle précédent, sans avoir encore conquis l’indépendance qui la distinguera dans le siècle qui va suivre. Et pourtant, chose singulière, aujourd’hui que le temps nous a livré tous ses trésors, voici que ce XVIIe siècle, rachetant son infériorité par d’éclatantes exceptions, nous offre, dans les deux genres opposés qui se partagent le domaine de l’histoire, deux monumens achevés, deux chefs-d’œuvre incomparables, le Discours sur l’Histoire universelle et les Mémoires du duc de Saint-Simon (car, en dépit des dates, c’est bien au XVIIe siècle que ce dernier appartient). Bossuet et Saint-Simon, devant ces deux grands noms en est-il qui ne pâlisse point ? ne semblent-ils pas à eux seuls combler le vide d’un siècle tout entier, et dominer du front, comme deux colonnes restées debout dans le désert, la gloire des successeurs aussi bien que celle des devanciers ?

Le génie a son secret qu’on ne lui dérobe point, mais on peut se demander quelles circonstances favorisent ou contrarient son essor. L’histoire n’a jamais fleuri là où a manqué à l’esprit humain l’air de la liberté, et si au XVIIe siècle elle semble frappée de stérilité, c’est sans doute qu’alors le despotisme des préjugés et des mœurs pesait encore plus sur les esprits que celui des institutions ; mais Bossuet, comme l’aigle qui aime les sommets, retrouve la liberté sur les cimes de la pensée religieuse, et son regard se dégage des illusions du présent, quand, du haut de la tradition chrétienne, il contemple et juge le passé. La liberté de pensée que Bossuet doit à la religion, le duc de