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apparences et ses mauvaises mœurs. Saint-Simon seul, quand le roi lui-même semble croire à un crime, quand tout dans les salons de Versailles s’éloigne du duc d’Orléans et fuit son contact comme celui d’un pestiféré, Saint-Simon seul, non-seulement ne s’éloigne pas, mais se rapproche de lui, le couvre de sa personne, et lui fait un rempart de sa vertu. Certes il ne fallait pas un médiocre courage pour affronter ainsi le roi irrité, la cour déchaînée, l’opinion égarée tout entière. Une telle action ne peut partir que d’un grand cœur; mais à la cour et d’un homme de cour, il faut l’appeler de l’héroïsme.

Le roi se mourait cependant, et de grands changemens étaient proches. A la veille d’une régence qui appartenait de droit au duc d’Orléans, Saint-Simon reprend naturellement, près de ce prince, le rôle de confident et de conseiller intime qu’il avait un moment rempli près du duc de Bourgogne. Il dresse encore des plans de gouvernement, il discute des projets de réforme, projets généreux qu’accueille volontiers l’esprit vif et brillant du duc d’Orléans, que laissera tomber non moins facilement l’âme débile du régent.

Dans ces plans que propose Saint-Simon se retrouvent quelques débris de ces grands projets de rénovation politique imaginés par les familiers du jeune dauphin, et notamment cette institution des conseils, essayée aux premiers jours de la régence avec de si tristes succès. Bien des idées aventureuses, paradoxales, dangereuses même et difficiles à justifier, éclosent dans la tête de ce hardi conseiller. Il veut les états-généraux, non comme moyen politique, mais comme expédient financier. Il conseille la banqueroute, non comme mesure licite, mais comme nécessité regrettable. A travers ces écarts d’un esprit téméraire en ses entreprises brillent çà et là des vues ingénieuses, des idées profondes, de nobles inspirations. Saint-Simon a une vertu qui lui fait beaucoup pardonner : il veut sincèrement, ardemment le bien de l’état. Sous l’hermine du duc et pair, il y a en lui l’âme d’un citoyen.

Louis le Grand s’était à peine, au milieu de l’indifférence des courtisans et de la joie insultante du peuple, acheminé solitairement vers Saint-Denis, et déjà le monde pouvait admirer une fois de plus le peu que pèse la poussière des plus grands rois. Impuissante à lui survivre même un jour, la volonté dernière de ce monarque si longtemps, si absolument obéi, était, comme un vulgaire codicille, brisée par arrêt de parlement. Dans ce hardi coup d’état, Saint-Simon avait joué un rôle marquant : son sang-froid, sa vigueur n’avaient pas peu contribué à assurer la victoire au duc d’Orléans.

On peut s’étonner qu’investi de l’estime, de la confiance du chef de l’état, appelé, par ses goûts et par son incontestable capacité, à