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pénètre, si heureux de gagner le large toutes voiles dehors, comme un de ces fins navires armés en course, et dont nul bagage incommode ne ralentit l’élan. « Avec Dieu, pour la liberté ! » cette belle devise servirait au besoin d’épigraphe à la vie entière d’Arnim comme à ses œuvres. Qu’il s’agit de trinquer entre amis ou de se battre, il la retrouvait au fond du verre ou sur la lame de son épée. Chez une nature aussi irrésistiblement portée à l’expansion, on devine quels orages dut soulever le patriotisme à l’époque de la domination française en Allemagne. Arnim était gentilhomme, et la noblesse n’était à ses yeux qu’un motif de plus de se lever pour l’indépendance de son pays. Aristocrate par le cœur et les façons, il avait une manière de comprendre la naissance appropriée aux idées modernes. « La noblesse, écrit-il, est la consécration du temps dans l’histoire, le baptême du sang, le bonheur historique d’avoir inscrit au front, dès le berceau, le signe d’une force particulière de vie et de fécondation. Son vrai diplôme, c’est l’action. Sans porter nul préjudice à la noblesse, souveraine entre toutes, des sentimens et de l’intelligence, la noblesse du sang donne à celle-ci la base d’une poétique prédestination. » L’abaissement de son pays le trouve plein de vaillance et de décision. Comme Théodore Koerner, comme ce grand et mélancolique Henri de Kleist, Achim d’Arnim appartenait à cette phalange sacrée d’étudians chevaleresques aux yeux de qui le romantisme apparaissait comme un symbole de la nationalité, et qui devaient poursuivre jusque sur les champs de bataille l’idéal de gloire et de liberté entrevu dans les rêveries universitaires. « Celui-là ne mérite ni la fortune ni la liberté qui ne sait point se les conquérir lui-même par l’action, » a dit Goethe. Arnim avait au fond du cœur cette maxime, et son inspiration, quand les événemens vinrent la solliciter, fulmina d’éclatantes paroles où vibre comme un écho des sauvages hourras de Weber : « A nous autres Allemands, les vertus ne nous manquent pas. Il en est une cependant que nous aurions grand besoin de pratiquer, et que nous ignorons : je veux parler de la vengeance. Souvenons-nous combien ce fut jadis un instrument terrible aux mains mêmes de la piété, et proclamons que la vengeance n’est point un vice, comme il plaît aux moralistes de l’appeler, mais bien plutôt, alors qu’elle est brandie par qui de droit, l’épée du justicier suprême, forgée au feu de l’éternel amour, passée au fil de la raison souveraine et consacrée par des douleurs immenses. Celui-là renie Dieu qui renie la sublimité de cette passion. »

D’illustres penseurs l’ont dit avant nous : l’humanité se meut en spirale, en avançant toujours ; rien n’est perdu de la substance organique qui se développe et s’étend dans toutes les directions : l’arbre reste le même, et les branches nouvelles qu’il ne cesse de pousser