Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/988

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa lettre aux Athéniens il signait un nom grec, Epaphrodite. Marius, ce farouche soldat, bien que plus dur à ces études, dit Cicéron, savait par cœur des vers du poète Archias. On surprend le vieux Caton lui-même, l’implacable ennemi de l’hellénisme, à citer un vers d’Homère. Dans un passage de Lucrèce que Molière a transporté dans les Femmes savantes, tous les défauts de la personne aimée sont transformés par l’amant en qualités qu’il exprime par un mot grec pour leur donner plus de grâce. Parmi les ruines de Tusculum, on a cru retrouver celles de la belle habitation de Cicéron, où il avait une académie, un gymnase et un lycée. Dans ses traités de philosophie et dans sa correspondance intime, le mot grec vient souvent exprimer sa pensée. Cicéron avait écrit en grec ses mémoires, des discours et son poème de la Prairie. Pompée donnait le titre de citoyen romain à un histrion de Mytilène aux applaudissemens de son armée. César, familier avec Euripide, en citait de préférence ce vers : « Il faut observer la justice de toute chose, excepté quand il s’agit de régner. » Brutus récita des vers grecs au moment de se donner la mort. L’empire à cet égard ne diffère pas de la république. Dans Suétone, on voit à chaque instant les empereurs employer des mots grecs dans la conversation. Auguste le faisait sans cesse, assaisonnant son langage de proverbes grecs. Comme Brutus, il cita des vers grecs à ses derniers momens. À Rome, non-seulement on parlait, on écrivait, on vivait, mais encore on mourait en grec. Tibère citait un vers d’Homère à la veuve de Germanicus, qui lui-même avait traduit en latin le poème d’Aratus. On sait les folies helléniques de Néron dans son voyage de Grèce, et qu’il poussa la barbarie de son dilettantisme pédantesque jusqu’à chanter, en présence de Rome embrasée par ses soins, les vers dans lesquels Homère peint l’incendie de Troie. Les bons empereurs agirent à cet égard comme les mauvais. Marc-Aurèle écrivait en grec ses lettres familières et ses pensées intimes. L’usage de la langue grecque était général sous l’empire. Juvénal avait tellement raison de s’écrier : « Nous sommes plus honteux d’ignorer le grec que le latin, » que, Domitien ayant élevé une multitude de ces arcs appelés des janus, un frondeur écrivit sur l’un d’eux le mot grec qui veut dire assez, épigramme de circonstance semblable à celles qu’on attacha depuis à la statue mutilée connue sous le nom de Pasquin, et qui comme celles-ci s’adressait à la foule, et devait par conséquent employer une langue que la foule pût comprendre. Enfin les choses allèrent si loin, qu’il se trouva à Rome un certain Apollonius qui ne savait pas le latin.

J’ai rassemblé avec soin tous ces faits particuliers, qui montrent à quel point la Grèce pénétra dans le langage et les habitudes