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en bas-relief, et que pour cette raison on suppose avoir appartenu au prince épirote. On a restauré cette statue en Mars, mais c’est un affreux Mars, et je crois que je n’aurais pas parlé de ce douteux vestige, si je n’avais tenu à protester contre l’absence de goût qui a fait placer cette monstrueuse statue dans un lieu apparent, en face de l’escalier par lequel on monte à la galerie des antiques du Capitole.

Ce ne sont pas seulement les petits peuples voisins de Rome et les Gaulois, cette race follement intrépide, qui menacèrent les murs de Rome, et attachèrent leur souvenir à ses faubourgs. Un ennemi venu de loin parut un jour devant ses portes. Annibal poussa une reconnaissance jusqu’à la porte Colline, dont remplacement est compris dans l’enceinte de la Rome papale. On sait que la porte Colline, par laquelle les Gaulois entrèrent dans Rome, était située au coin de la Via Pia et d’une rue qui conduit à la porte Salara. Le cheval du Carthaginois a galopé sur les pas de Brennus, devançant Alaric, qui devait entrer dans Rome du même côté, le long de cette rue tranquille comme son nom, et qui est aujourd’hui la promenade favorite des cardinaux. La terreur se répandit aussitôt dans la ville. Des soldats numides, qui étaient au service de la république, étant descendus de l’Aventin pour aller défendre la porte Colline menacée, on crut que c’était l’avant-garde d’Annibal qui s’avançait, et une panique s’ensuivit. Terreur absurde, car Annibal était à l’est de la ville, et ses soldats ne pouvaient venir de l’Aventin, qui est à l’ouest ; mais la peur ne raisonne pas, et un moment à la pensée d’Annibal dans ses murs Rome eut peur !

Si la foule désarmée, qui seule était restée dans la ville, fit paraître un trouble insensé, jamais le sénat ne se montra plus grand que dans cet extrême péril. C’est alors que le terrain occupé par le camp d’Annibal fut mis en vente et trouva un acheteur qui le paya ce qu’il valait en temps ordinaire. Annibal ne voulut pas demeurer en reste d’assurance, il mit en vente les boutiques du Forum romain. Ceci était une bravade et presque une comédie, tandis que la vente du terrain que couvrait son camp était sérieuse, et témoignait chez les Romains de cette confiance invincible dans leurs destinées à laquelle ils durent la puissance de les accomplir.

Le voyageur qui est venu par terre à Rome a fait à peu près la même route qu’Annibal ; il a pu suivre les bords du lac de Trasimène, et en se souvenant de son commode passage des Alpes, dont il n’a pas dissous les rochers avec du vinaigre (et, je pense, Annibal pas davantage), il ne peut s’empêcher de sourire aux terreurs des Carthaginois en présence de ces sommets qu’ils jugeaient infranchissables, et que franchit chaque jour la malle-poste. Annibal eut assez