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les délibérations de Munster durant la dernière période du congrès. L’Espagne, qui avait d’abord ardemment souhaité la paix et contraint plus d’une fois les ministres français à recourir aux plus étranges subtilités pour décliner ses ouvertures[1], avait en effet cessé à son tour d’en presser la conclusion, et dans l’espoir de voir éclater en France les orages dont l’air commençait à se charger, elle ajournait l’instant de consentir de douloureux sacrifices, attendant d’un prochain avenir les moyens de les refuser, ou tout au moins de les amoindrir.

Le système de Mazarin avait donc eu ses inconvéniens en même temps que ses avantages, et il commençait à devenir évident que ceux-là surpassaient ceux-ci. Si la guerre l’avait mis en mesure d’occuper les princes et d’éblouir la nation par d’éclatantes victoires, ces succès avaient été achetés au prix dont la gloire se paie toujours. On comprenait d’ailleurs fort bien que la guerre n’était aucunement nécessaire pour donner à la France le moyen de dicter les conditions de la paix, et on disait partout depuis quatre ans qu’elle continuait au profit du ministre et au grand dommage du pays, appauvri et fatigué. Toute guerre se résolvait alors en impôt, et l’on n’avait pas encore découvert l’ingénieuse théorie qui met à la charge de l’avenir toutes les fantaisies du présent. Le crédit de l’état était faible ; on en peut juger par le taux des rentes de l’hôtel de ville, qui se négociaient au denier douze ; celui des particuliers était nul, et la matière imposable manquait à peu près, puisque le clergé ne contribuait aux dépenses publiques que par des dons volontaires, et que la noblesse réclamait le privilège de ne payer à la patrie que la dette de son sang. Il ne restait donc qu’une alternative : augmenter les tailles qui écrasaient le peuple des campagnes, ou frapper, par des emprunts forcés et des impôts de consommation, la bourgeoisie des villes. Les tailles avaient reçu sous le précédent règne une extension si impitoyable, que cette ressource échappait absolument à la régente. Dans plusieurs provinces, la perception ne s’opérait que par des voies sanglantes ; dans toutes, les cultivateurs avaient été conduits à réduire leur bétail et leurs cultures, surtout depuis qu’on avait imaginé de fixer le chiffre des tailles par commune, en prélevant sur l’aisance relative des uns ce que ne pouvait fournir l’extrême misère des autres. Le surintendant d’Emery fit preuve de sagesse en recourant à d’autres voies pour procurer au trésor les sommes que dévoraient trois armées, dépenses hors de toute proportion avec les revenus ordinaires, auxquelles il fallait ajouter les pensions et grâces dispendieuses toujours accordées avec empressement aux protégés des princes qui commandaient

  1. Voyez surtout la dépêche des plénipotentiaires de 31 décembre 1646.