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fait comprendre à Mazarin que l’heure des résolutions décisives avait enfin sonné. Les états-généraux de Hollande avaient signé en 1644 un traité par lequel ils s’étaient formellement engagés à ne conclure la paix avec l’Espagne que conjointement et d’un commun accord avec la France ; mais leurs ministres en Westphalie, lassés d’ajournemens successifs et fort inquiets de ce qui commençait à transpirer à Munster d’un projet d’échange de la Catalogne et du Roussillon contre les Pays-Bas espagnols, s’étaient résolus, nonobstant les engagemens antérieurs, à traiter directement avec les ministres espagnols. Malgré les efforts de l’ambassade française, la paix avait été signée, aux premiers jours de l’année 1648, entre la cour de Madrid et ses anciens sujets. Un tel symptôme constatait qu’il était plus que temps de conclure, car outre que les princes de l’empire s’étaient déjà entendus, et qu’on risquait, en différant, de demeurer en dehors de leur accord, la situation militaire de la France se trouvait singulièrement affaiblie par l’attitude nouvelle de la Hollande. Les plénipotentiaires du jeune roi signèrent donc, le 24 octobre 1648, les grands actes qui, en renouvelant la face de l’Europe, y assuraient à leur patrie la glorieuse place conquise par le sang de deux générations. Mazarin eut l’insigne fortune d’apposer son nom à l’œuvre commencée par la prudence de Henri le Grand, continuée par le génie du grand cardinal, maintenue par l’héroïsme du grand Condé.

Toutefois, en signant la paix avec l’empereur, le ministre d’Anne d’Autriche se garda bien de la faire avec l’Espagne. Celle-ci demeura exclue des traités de Munster, et resta seule exposée aux coups de la France, à laquelle son traité avec l’empire rendait l’entière disponibilité de ses forces. Cette situation avait pour Mazarin le double avantage de continuer la guerre et de laisser ouverte la séduisante perspective de la conquête des Pays-Bas, ce complément si désiré de notre territoire. Les calculs de Mazarin n’auraient probablement pas été trompés, si les agitations intérieures, dont la continuation de la guerre avec l’Espagne devint, non la cause véritable, mais le plus sérieux prétexte, n’étaient venues, quelques mois après, dérouter toutes les conjectures, et si la fronde n’avait fait perdre à la France la plus grande partie de ses conquêtes, en même temps qu’elle rendit à l’Espagne la domination de ses provinces insurgées.

Durant les quatre années consacrées aux transactions de Westphalie, une pensée obsédait l’esprit de Mazarin, et avait fini par prendre pour lui le caractère d’une sorte d’idée fixe. Il aspirait en effet, ainsi qu’avaient fini par le découvrir les envoyés hollandais, à donner la Franche-Comté et la Belgique à la France, en négociant l’échange de la Catalogne et du Roussillon contre la totalité des Pays-Bas espagnols. Vis-à-vis de ses agens, et l’on pourrait ajouter vis-à-vis de