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jamais de profiter de chaque succès nouveau pour produire une exigence nouvelle.

Le repos était devenu un besoin tellement impérieux pour le monde après les horreurs de la guerre de trente ans, qu’un homme de génie, loin de lutter contre cet irrésistible instinct, au risque de le soulever contre soi, en aurait fait le levier même de sa puissance, et aurait probablement inauguré la politique de Colbert au lieu de continuer celle de Richelieu. La grandeur de la France et l’abaissement de l’Espagne disaient assez que l’œuvre de cette dernière politique était consommée, tandis que les agitations du parlement et les souffrances des peuples ne semblaient pas indiquer moins clairement que l’heure d’une autre avait alors sonné. Toutefois Mazarin mit à ajourner la paix pendant quatre ans, puis à la rendre partielle au lieu de la faire générale, une habileté et une souplesse d’autant plus grandes qu’il faisait profession de la souhaiter plus ardemment que personne. Ce n’est pas qu’au fond il n’y eût quelque vérité dans ce sentiment-là. Ce ministre savait fort bien que la paix ne pouvait que profiter à la France dans les conditions où elle se trouvait placée pour la conclure ; il ignorait moins encore l’honneur qu’apporterait un jour à sa mémoire le grand traité qui stipulerait les nouvelles conditions de l’équilibre européen et la réorganisation de l’empire germanique ; mais cette paix, qu’il se réservait de conclure pour l’avenir, il l’ajournait indéfiniment, parce qu’il en redoutait le contre-coup. Il lui semblait périlleux de rendre aux loisirs et aux intrigues de la cour tant de princes et d’entreprenans seigneurs que la guerre éloignait le plus souvent de la cour et de la France ; il redoutait encore plus d’avoir à consacrer son attention et ses soins à ces questions de législation et de finances qu’il ignorait profondément, et qui commençaient à lui arriver à travers les plaintes vives et presque séditieuses des parlemens.

La marche de Mazarin durant le cours des négociations simultanément suivies à Munster et à Osnabruck se ressentit donc d’une préoccupation qui chez lui dominait toutes les autres, et la pensée du cardinal, dont, entre les trois plénipotentiaires français, Servien seul avait le secret, pourrait se formuler ainsi : préparer toutes les bases d’un accord sans jamais le signer, et demeurer maître de toujours conclure en trouvant des moyens pour rejeter constamment sur ses adversaires l’odieux et la responsabilité des ajournemens.


IV

Les premières négociations engagées pour la paix générale avaient été ouvertes du vivant du cardinal de Richelieu, et un traité des