Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est nécessaire d’ailleurs d’apprécier cette partie de la carrière du cardinal que remplissent les grandes transactions de Westphalie, et de se rendre compte du genre d’habileté qu’apporta dans ces célèbres négociations le ministre tout-puissant auquel une reine déjà subjuguée avait remis le soin d’assurer la grandeur et les intérêts de la France.

De 1643 à 1648, la cour n’eut guère à célébrer que des succès sur les divers théâtres où combattaient nos nombreuses armées, en exceptant toutefois la Catalogne, province où le maréchal de Lamothe-Houdancourt avait essuyé des revers graves, et que les premiers troubles de la fronde devaient arracher à la France. Quoique le germe des résistances intérieures fût déjà partout visible, l’éclatante fortune du règne en paralysait encore les bruyantes manifestations. Jamais souveraine n’avait été aussi constamment heureuse que le fut Anne d’Autriche durant le cours de ces années triomphales. Tandis que les esprits gardaient encore quelque chose des habitudes de soumission imprimées par Richelieu, l’impulsion que ce ministre avait donnée aux armées les poussait à la victoire sur le Rhin, sur le Danube et en Italie. Le duc d’Enghien[1] avait commencé cette course rapide dans la gloire, qui s’ouvrit à Rocroy pour ne s’arrêter qu’à Lens, à la veille de la guerre civile. Secondé par Turenne et par Gassion, entouré d’un héroïque cortège de gentilshommes presque tous jeunes comme lui, et dont son rang le constituait le chef naturel, ce prince portait dans la guerre une originalité de vues dans lesquelles les plus savans calculs s’illuminaient par les éclairs du génie. Sans le soupçonner encore lui-même, il avait fondé une grande école militaire toute prête à se changer à sa voix en un dangereux parti politique.

Cependant ces nombreuses victoires ne profitaient point à la paix, quoique l’empereur Ferdinand III la désirât depuis longtemps, et qu’elle fût au fond beaucoup plus nécessaire au roi d’Espagne qu’elle ne l’était au chef de l’empire. L’Allemagne ravagée par la guerre la plus longue et la plus sanglante des temps modernes, la France épuisée d’hommes et surtout d’argent, aspiraient l’une et l’autre avec une ardeur égale à la fin d’une lutte dans laquelle le sort, personne ne le méconnaissait plus, avait irrévocablement prononcé contre la maison d’Autriche. Tous les alliés de la France, si l’on en excepte peut-être les Suédois, souhaitaient la paix avec une passion qui finit par les séparer plus tard de nos intérêts, lorsqu’ils eurent découvert que le gouvernement de la régente ne manquait

  1. On sait que ce prince ne prit le nom de Condé qu’à la mort de son père, survenue le 26 décembre 1646.