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à ajourner une pacification qu’il faisait profession publique de désirer, il donna à ses adversaires des griefs plausibles qui firent plus tard toute la popularité de la fronde, et il se trouva d’un autre côté qu’en continuant la guerre il avait fini par grandir et par armer lui-même tous ses ennemis. Il crut qu’en envoyant le duc d’Orléans commander une belle armée en Flandre pour satisfaire son insatiable besoin d’importance et d’activité, il pourrait se concilier ce prince, qui n’avait jamais su que compromettre ses amis pour les abandonner. Il envisagea comme un acte d’habile politique de fournir au jeune général qui allait s’appeler le grand Condé l’occasion d’ajouter les lauriers de Fribourg et de Nordlingue à ceux de Rocroy. Il ne prévit pas que l’immense patronage militaire de ces princes le placerait dans leur étroite dépendance, et que le chef de la branche cadette n’appliquerait bientôt qu’à lui-même tout le profit de sa gloire. Au lieu de lui assurer des créatures, la guerre ne servit qu’à rendre ses ennemis plus puissans dans l’armée, surtout plus nombreux dans la nation. Lorsque la guerre n’est pas en effet un dérivatif énergique, au lieu de prévenir les troubles, elle contribue à les susciter, car elle impose toujours des sacrifices dont les factions parviennent facilement à faire mettre en doute la nécessité.

Mazarin aurait-il coupé court aux agitations qui faillirent bouleverser l’état, en déployant, pour accélérer la paix générale, tout l’art qu’il mit à ajourner jusqu’à 1648 le traité avec l’empire, et jusqu’à 1659 le traité avec l’Espagne ? C’est une question qu’il serait à la fois oiseux et difficile de résoudre. Ce qu’on peut dire, c’est que, pour cet esprit plus actif que créateur, l’art de gouverner n’était guère que l’art de négocier. Richelieu aurait pu supporter la paix en grandissant par elle, car sa pensée embrassait les intérêts les plus complexes ; elle ne s’inquiétait pas moins du développement de la marine et du commerce, des intérêts agricoles et coloniaux, du progrès des arts et des lettres que du système de nos alliances. Mazarin au contraire aurait été condamné à la plus complète stérilité d’esprit, s’il avait eu des mesures organiques à préparer au lieu d’avoir des trames diplomatiques à suivre. Si donc la continuation de la guerre n’était pas le premier intérêt de sa position, elle était du moins conforme aux plus irrésistibles tendances de sa nature. Ajoutons d’ailleurs que le cardinal se croyait aussi grand tacticien sur un champ de bataille que dans un congrès, et qu’on le vit plus tard contester au maréchal de Turenne le mérite de ses dispositions stratégiques et l’honneur personnel de ses victoires.

L’imputation d’avoir opposé à la pacification de l’Europe, dans un intérêt égoïste, des obstacles calculés est trop sérieuse pour que je puisse me dispenser de la justifier par quelques rapides indications.