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de les mettre, par des réformes politiques sur lesquelles on n’avait d’ailleurs aucunement médité, à l’abri de toute usurpation nouvelle. Comment ne pas compter pour cela sur la princesse dont on avait épié toutes les larmes et servi tous les ressentimens durant la demi-captivité à laquelle l’avaient si longtemps soumise un époux qui ne l’aimait point et un ministre qui la redoutait ? Le nom de la reine, comme celui de Gaston d’Orléans, frère du roi, avait servi de mot d’ordre à presque tous les conspirateurs ; l’on croyait donc, et cette croyance était fort naturelle, pouvoir pleinement compter sur la régente, et l’on se considérait d’ailleurs comme assez fort pour s’imposer à une reine étrangère, conseillée par un ministre étranger, si au tort de l’aveuglement elle s’avisait jamais de joindre celui de l’ingratitude. De telles illusions étaient fort spécieuses en ce moment-là, et il aurait fallu un esprit très supérieur pour en pénétrer la vanité.

Richelieu avait effacé sans doute tous les pouvoirs devant celui de la couronne, et, sans aimer son gouvernement, les magistrats l’avaient singulièrement servi, en subordonnant par leurs doctrines tous les droits de la nation au droit supérieur de la royauté ; mais cette difficulté qu’on s’était préparée à soi-même, et qui semblait devoir rendre au parlement la résistance et à plus forte raison la faction à jamais impossible, paraissait fort amoindrie par la situation nouvelle des choses. La grande idée de la royauté, devant laquelle on avait abaissé toutes les existences, n’était-elle pas une abstraction durant une minorité, et pouvait-elle avoir alors toutes ses conséquences pratiques ? Afin de mettre, sur ce point-là, ses croyances monarchiques en parfait accord avec le besoin, un moment général, de réformes et d’agitation, le parlement de Paris avait imaginé une théorie, ce qui est la ressource ordinaire des honnêtes gens en pareil cas. On distinguait deux états dans la royauté : l’un actif, durant lequel le souverain possédait la plénitude de la puissance, mais sous la condition de venir l’exercer lui-même du haut de son lit de justice, dans la maturité de son âge et de sa raison ; l’autre passif, qui ne laissait aux représentans temporaires de la royauté que l’exercice d’un pouvoir strictement limité par les lois. Le droit constituant, étant en quelque sorte sacramentel et ne pouvant se déléguer, dormait donc, durant les minorités, au sein du parlement de Paris, tuteur des rois, qui prétendait s’en adjuger le bénéfice pendant ces sortes d’interrègnes. Cette étrange doctrine, qui se reproduit incessamment dans les écrits et les harangues de l’avocat-général Talon[1], avait prévalu jusque dans la partie la plus modérée et la plus fidèle des compagnies judiciaires ;

  1. Mémoires d’Omer-Talon, première partie.