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point de la puissance et en précipitant l’Espagne sur la pente d’une décadence irrémédiable.

Je voudrais rétablir la physionomie de ce ministre, exalté par l’esprit de système après avoir été rabaissé par l’esprit de parti ; je voudrais montrer quel fut cet homme, qui, s’il n’est pas le politique profond entrevu par quelques-uns, a du moins sur ses diffamateurs l’incontestable avantage de les avoir tous achetés. Cette tâche m’attire d’autant plus, que derrière Mazarin on peut contempler la société française tout entière dans la variété de ses mœurs, de ses intérêts et de ses aspirations, si vagues alors, mais si animées. Ce ministre ne s’imposa pas en effet à son siècle comme son formidable prédécesseur au point de le remplir tout entier. La nation française se révéla durant la fronde avec une liberté d’allures qu’elle ne pouvait avoir sous le cardinal-duc et qu’elle perdit bientôt sous le regard dominateur de Louis XIV, liberté naïve, pittoresque et qu’il faudrait appeler toute charmante, si, au sein de cette société pleine de confiance et d’illusions, ne se révélaient dans tous les rangs des blessures séculaires et des misères politiques dès lors à peu près incurables. Il faut étudier cette époque avec ses tendances si contraires et dans tous ses avortemens pour comprendre ce qui manquait à la France de nos pères la veille du jour où le grand roi, héritier du labeur de ses ancêtres et des nôtres, tira la dernière conséquence de l’œuvre poursuivie durant huit siècles. Par un concours de circonstances qui n’a pas été assez remarqué, la fronde, ce mouvement si violent et si stérile, met en relief dans ses phases successives l’esprit de toutes les classes de la société française. C’est d’abord la bourgeoisie qui occupe la scène durant la période parlementaire, puis elle s’efface pour céder la place à l’aristocratie, qui ne sait pas mieux profiter de ses premiers succès ; bientôt après se montre la populace, toujours semblable à elle-même, et qui prépare par ses violences le triomphe de la royauté absolue. La fronde fut, qu’on veuille bien me passer le mot, le microcosme de notre histoire.


I

Après les tentatives qui mettent l’ordre social en péril viennent les avortemens qui le troublent sans l’ébranler ; après les combats livrés par les factieux viennent les illusions de ceux chez lesquels des prétentions impuissantes survivent à une influence évanouie. La France en était là à l’avènement de l’enfant qui succédait à Louis XIII. La puissance monarchique avait vaincu, mais elle n’avait pas fait encore preuve décisive de sa force, non plus que ses vieux antagonistes n’avaient eu celle de leur défaite. La royauté, devenue depuis