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— M. Davis prit la note ; elle était ouverte. — Désirez-vous que je la lise ? me dit-il. — Oui, certainement ; c’est pour cela que je l’ai apportée. — Il parcourut la note et puis me regarda. À ce moment, Smyth entra et se mit à côté de moi. Sa seigneurie et son secrétaire furent quelque peu déconcertés, car ils connaissaient très bien le correspondant du New-York Tribune, ainsi que le motif de son voyage. Alors je dis : — Vous voyez le but de cette note, monsieur ; elle est claire et courte ; elle révoque la promesse que j’ai donnée, et fait cesser en conséquence la liberté conditionnelle dont j’ai joui. — Il ne fit pas un mouvement et ne donna pas d’ordre. Je répétai mon observation : Vous remarquerez, monsieur, qu’à partir de ce moment j’ai retiré ma parole, et que je suis venu pour être arrêté conformément à cette note. — Pendant tout ce temps il y avait un constable dans la chambre voisine, sans compter le secrétaire de police et la sentinelle à la porte. Cependant sa seigneurie ne fit pas un mouvement. — Maintenant, bonjour, monsieur, dis-je en remettant mon chapeau. La main de Smyth jouait avec un des revolvers qu’il avait en poche. Pour moi, outre mes pistolets, j’étais armé d’une forte cravache. Au moment où je dis « bonjour, » M. Davis s’écria : (Non, non, restez ici ! Rainsford ! constables ! » Le secrétaire était immobile à son pupitre et plongé dans la stupéfaction. Nous traversâmes la salle ; l’agent de police qui se trouvait dans l’office du constable du district, et qui lui sert généralement de secrétaire, reçut l’ordre de courir après nous et de nous arrêter. Il nous suivit en effet dans la cour, puis dans la rue, mais sans approcher jamais de très près. À la petite porte conduisant de la cour à la rue, nous comptions voir l’homme de garde mis en alerte s’interposer entre nous et nos chevaux ; mais ce pauvre constable ne remua pas, malgré le bruit et les ordres du magistrat. Il tenait les deux chevaux, un de chaque main, et nous regarda avec étonnement lorsque nous passâmes à côté de lui et sautâmes sur nos selles. »

À la suite de cet incident, M. Mitchel avec son ami s’embarqua à bord du Don Juan, et après avoir relâché à San-Francisco, à Creytown et à Cuba, sans aventures bien mémorables, entra, le 29 novembre 1854, dans le port de New-York, où l’attendaient son frère et M. Meagher. C’est ainsi qu’après avoir longtemps erré sur les mers, comme Ulysse, M. Mitchel (c’est le style dont il aime à se servir) parvint à s’échapper de l’antre du Polyphème anglais. Maintenant que nous le savons en sûreté, échappé aux mains de ces Carthaginois féroces, et que nous ne craignons plus pour lui le supplice de Régulus, nous prendrons congé de l’exilé irlandais, en lui souhaitant un peu plus de calme et un peu moins d’exagération.

À l’exception de Smith O’Brien, toute la Jeune-Irlande est maintenant réunie en Amérique : M. Meagher et M. Mac Manus avaient