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c’est que les esclaves dans les colonies françaises, espagnoles ou portugaises ne sont pas traités aussi durement que dans les colonies anglaises ou en Amérique ; « car, remarque avec amertume M. Mitchel, à l’exercice du pouvoir cette race anglo-saxonne ajoute toujours l’insolence. » Un autre trait des mœurs de l’Amérique du Sud, c’est, comme chacun le sait, l’amour de la flânerie et du far niente merveilleusement favorisé par la religion catholique. Le Neptune était depuis trois semaines en vue de Pernambuco, et l’équipage n’avait pas encore pu se procurer les provisions qui lui manquaient. Tantôt le temps était mauvais, et les timides Brésiliens n’osaient pas se hasarder ; tantôt c’était un jour de fête, et les citoyens de Pernambuco se promenaient dans leurs beaux habits des dimanches, sans s’inquiéter du Neptune et de ses provisions. Abord, les matelots pestaient en attendant contre les Brésiliens, leur paresse et leurs jours de fêtes. « Voyez-vous l’excuse que donnent ces drôles ! dit un des officiers de l’équipage à M. Mitchel. Ils ne veulent pas exposer leurs esclaves par ce temps-là ; que le diable les emporte ! Des Américains ou des Anglais auraient terminé depuis longtemps toutes ces affaires. » Sur quoi M. Mitchel, en véritable Irlandais, prend le parti des Brésiliens et fait la réflexion suivante : « Je respecte une nation indolente, une nation qui prend son temps, qui a ses jours de fête et n’expose pas ses esclaves. Vos Anglais et vos Yankees vont trop de l’avant ; ils se donnent à peine le temps de manger et de dormir, ils chauffent à un trop haut degré la machine sociale, sont toujours hors d’haleine, et ils appellent cela vivre ! Longue vie et prospérité aux sujets de l’empereur qui veulent jouir de leur existence ! Puissent-ils récolter longtemps sans avoir besoin de semer ! puissent de leurs cannes à sucre jaillir longtemps des flots de douceur et leurs prairies sans bornes nourrir d’innombrables troupeaux ! Ainsi les jours de fête abonderont, et la Vierge et tous les saints seront justement honorés. » Cependant, en dépit des jours de fête, les retards eurent une fin, et le Neptune reprit sa route sans que M. Mitchel eût mis pied à terre. Le paysage américain s’était dressé devant ses yeux comme une apparition des rêves. Enfin, vers le milieu de septembre, on atteignit le cap de Bonne-Espérance, et bientôt le Neptune entra dans la baie de Simon.

Là cependant ne devaient pas s’arrêter les pérégrinations de M. Mitchel. Au Cap comme à Pernambuco, il fut condamné à être spectateur du panorama qui s’agitait à terre sous ses yeux ; mais cette fois le spectacle était émouvant et remplit de douces émotions le cœur de M. Mitchel. Là il ne fut pas seulement un spectateur passif, il fut acteur métaphysiquement, acteur en pensée, d’âme et de cœur. L’Angleterre était en péril, la colonie était soulevée contre le gouvernement. On sait l’origine de cette querelle. Malgré l’assurance donnée