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fers et fit apporter du sherry et de l’eau. Il causa familièrement avec le prisonnier et lui apprit qu’il s’appelait le capitaine Hall. « Très bien, dit M. Mitchel, c’est vous qui êtes allé dernièrement en Chine et qui avez publié un récit de votre voyage. » Le capitaine répondit affirmativement, et, pour prévenir toute méprise, crut devoir l’avertir qu’il n’était pas le capitaine Basil Hall. « Je présume, me dit-il, que vous avez lu son Voyage aux îles Loo-Choo. — Je répondis que je l’avais lu, ainsi qu’un autre livre du même auteur que je préférais de beaucoup au premier, son récit des révolutions du Chili et du Pérou, et son portrait de cet admirable héros San-Martin. Le capitaine Hall se mit à rire : — Vous vous êtes beaucoup occupé de révolutions ? — Oui, beaucoup, presque exclusivement. — Ah ! monsieur, de dangereuses choses, ces révolutions ! — Vous pouvez bien le dire, répondis-je. »

On arrive à Spike-Island. M, Grace, le gouverneur, entre dans la cellule du prisonnier, lui disant qu’il peut écrire à sa famille, pourvu que la lettre lui soit préalablement communiquée, et met sa bibliothèque à sa disposition pour le temps qu’il passera à Spike-Island. Le lendemain il vient annoncer à M. Mitchel qu’il est obligé de s’acquitter d’un pénible devoir, que le condamné doit revêtir l’uniforme de convict, rigueur inutile immédiatement contremandée par le gouvernement. M. Grace revient une troisième fois, accompagné de l’inspecteur de la prison : « J’ai ordre de vous annoncer, dit ce dernier, que le gouvernement a décidé votre départ. -Vraiment ! Bientôt ? — Demain matin. — Pour quelle partie du monde ? – Les Bermudes. — Et par quel moyen de transport ? — Un vaisseau de guerre qui est arrivé aujourd’hui dans le port. » M. Grace l’informa ensuite que le gouvernement avait donné l’ordre de ne pas le traiter comme un convict ordinaire, de lui laisser ses habits, de ne pas lui mettre les fers aux pieds et de le traiter en tout comme une personne bien élevée et un gentleman. Le lendemain, on s’embarque pour les Bermudes à bord du vaisseau de guerre le Scourge, capitaine Wingrove, homme d’environ cinquante ans, bilieux, taciturne et très affable, qui reçoit le prisonnier à sa table, lui donne la permission d’aller et de venir sur le pont, pourvu qu’il avertisse la sentinelle chargée pour la forme de le surveiller. Les officiers de l’équipage se mettent à la disposition de M. Mitchel, lui offrent des livres et tâchent de lui rendre le voyage le moins ennuyeux possible. En vérité, j’ai peine à comprendre les anathèmes de M. Mitchel contre les Carthaginois. De quelque côté qu’on se tourne, on n’aperçoit que d’honnêtes gens, d’une affabilité et d’une indulgence vraiment étonnantes. M. Mitchel a été fort heureux d’être condamné au régime des pontons de l’aristocratique Angleterre ; supposons-le réduit à passer quelque temps sur les