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force physique, comme un des champions égarés de ces idées. Ce n’est qu’un révolutionnaire imparfait, et il lui reste beaucoup à faire pour se débarrasser de ses préjugés celtiques et de l’éducation qu’il a sucée avec le lait.

Sans le vouloir et sans le savoir, M. Mitchel contredit les idées les plus élémentaires de la démocratie. Il y a de lui un curieux plaidoyer contre lord Bacon et M. Macaulay. Qu’il exècre M. Macaulay en sa qualité d’Irlandais, rien de mieux ; mais que lui, révolutionnaire, nie la révolution scientifique accomplie par Bacon, cela est plus singulier. La révolution baconienne consiste en deux choses : d’une part, elle a démocratisé la science en la rendant utile, applicable aux besoins de l’homme, en la faisant descendre de ses hauteurs idéales ; d’autre part, elle l’a rendue accessible à tous en créant une méthode pour ainsi dire impersonnelle, instrument dont depuis cette époque le premier venu a pu se servir aussi bien que le plus grand savant. Dès lors est tombé le monopole aristocratique des Aristote et des Archimède, dont la science était la propriété et le domaine. Il y a eu une seule science, commune à tous les hommes, comme la nature, comme le soleil. Il n’y a plus eu de science péripatétique, de science platonicienne, plus de ces forteresses scientifiques dans lesquelles les philosophes s’enfermaient et dérobaient leurs trésors à la multitude ignorante. La science depuis lord Bacon, de même que la vérité depuis l’Evangile, a été accessible aux hommes de bonne volonté, et dans ce fait il y a plus de démocratie véritable que dans toutes les révolutions des dernières années. Malheureusement M. Mitchel ne voit et ne veut rien voir de tout cela. Il pense sur lord Bacon comme Joseph de Maistre, et il pense sur la destination de la science comme Platon et Archimède, qui défendaient à leurs disciples de dégrader la science en la faisant servir aux arts des esclaves. Il partagerait, comme Pythagore et Aristote, la science en deux parts : l’une ésotérique, l’autre exotérique ; l’une faite pour les initiés, l’autre pour les aspirans à l’initiation. Il ne saurait y avoir une manière plus aristocratique de considérer la science et sa destination. Cependant, malgré cette inconséquence, félicitons M. Mitchel. La révolution baconienne a été profitable et utile ; mais il serait bon en plus d’un sens de réagir contre elle. L’humanité a retiré à peu près de cette révolution tout le profit qu’elle en pouvait attendre. Grâce à cette révolution, l’humanité tout entière, et non plus quelques individus privilégiés, a été appelée à contempler les merveilles de l’univers, et a pu ainsi s’élever à une existence spirituelle plus haute : voilà le véritable progrès accompli ; mais donner le nom de science à toutes les inventions plus ou moins ingénieuses qui se sont multipliées dans notre siècle, et qui toutes ont pour but de nous procurer un plaisir ou