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tout lui sera bon. La révolution de février l’a poussé à la révolte ; mais ne croyez pas qu’il soit conséquent avec lui-même et qu’il s’afflige beaucoup de la mort de la république ! Dans tous les événemens qui se succèdent, il ne voit qu’une chose : peuvent-ils ou ne peuvent-ils pas nuire à l’Angleterre ? y a-t-il en eux une chance d’humiliation pour Carthage ? Il applaudit à Mazzini, l’ennemi du catholicisme ; il applaudirait aussi bien à un évêque ultramontain d’Irlande bénissant les étendards d’une insurrection celtique. Il salue avec espoir la république française ; mais lorsque, sur les pontons des Bermudes, il apprend l’élection à la présidence du prince Louis-Napoléon, un immense cri de joie sort de sa poitrine ; puis, lorsqu’à son arrivée en Amérique, il apprend les nouvelles d’Orient, il fait écho aux « trompettes guerrières du tsar qui retentissent sur le Danube. » Dans tous les événemens, il voit la bonne nouvelle : l’agonie de l’Angleterre !

Cette haine va si loin, qu’il sacrifiera sans hésiter la civilisation moderne, s’il n’y a pas d’autre moyen d’abattre la puissance anglaise. L’Angleterre est surtout vulnérable par les intérêts matériels ; faut-il bouleverser le crédit du monde pour tuer son commerce ? M. Mitchel est prêt. Si le monde pouvait faire banqueroute, l’Angleterre serait réduite au sort de l’Irlande ; cette perspective remplit de joie M. Mitchel. Il reviendrait bien volontiers à la vie sauvage, s’il pouvait voir cette vieille ennemie réduite à la mendicité. Peu lui importent tous les progrès de l’humanité depuis quatre cents ans ; un seul lui plairait, l’invention de la poudre à canon et des armes à feu, si l’Irlande pouvait avoir assez et de l’une et des autres pour appliquer à son tour la loi du talion. Toutes les autres inventions, chemins de fer, bateaux à vapeur, manufactures, docks et magasins, bibliothèques même, peuvent brûler comme de la paille : il ne s’en inquiétera pas. Il est tellement absorbé par sa haine, qu’il prend pour des réalités les illusions de sa colère. Ainsi il est très fermement convaincu que le crédit et toutes ses institutions sont une immense mystification, fondée par quelques charlatans pour l’exploitation des nombreuses dupes qui composent l’humanité ; que tous nos billets de banque, lettres de change, etc., ne sont autre chose que des morceaux de papier ; que tout cela repose sur une pure abstraction, sur un sentiment d’ignorance, et crèvera dans un jour prochain comme une bulle de savon trop gonflée ; que la propriété industrielle est une pure fiction ; que ceux qui lui confient leurs épargnes sont imprévoyans, fous ou stupides, et que rien n’est solide que la propriété foncière. Les billets de banque anglais, ce sont des traites de la maison Notus and C° tirées sur la maison Eurus and C°, rien de plus. Jusqu’à présent l’Angleterre n’a pas fait banqueroute, et la fraude n’a pas été découverte parce qu’elle a à sa