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Les Anglo-Saxons au contraire ont toujours vécu dans le présent. Jamais ils ne se sont payés de regrets ni d’espérances, jamais ils n’ont placé leur idéal par derrière ou devant eux. Pour eux, la minute présente résume le temps tout entier : la possession de la chose présente est la suprême joie : to have is to enjoy. Grâce à cet esprit fortement épris de la réalité, il n’y a jamais eu chez eux interruption dans la chaîne historique des temps. C’est par là que s’explique le caractère traditionnel du peuple anglais, et c’est par là qu’avec des principes du moyen âge il est arrivé à fonder la plus moderne des sociétés. Le passé vit condensé et résumé dans l’heure présente, qui elle-même prépare l’avenir. C’est ainsi que les Anglais sont devenus le peuple politique par excellence.

Si tel est l’esprit moral des Celtes, on ne doit pas s’étonner qu’ils aient été de tout temps écrasés par l’Angleterre. Leur tempérament n’était pas mieux fait pour la résistance que leur caractère moral. Ce tempérament est en effet essentiellement féminin, c’est-à-dire un composé de douceur et de violence. Les divers attributs de la nature féminine, la résignation, les réveils fiévreux de la passion, et cette puissance avec laquelle les femmes supportent la souffrance, se retrouvent dans la nature celtique. Tous les observateurs ont pu remarquer combien, sous ce dernier rapport surtout, l’homme est inférieur à la femme : la misère l’abat, la souffrance corporelle le brise, et toute son énergie tombe devant une douleur que la plus frêle femmelette supporterait en riant. Il en est ainsi des Irlandais. — Rien n’est plus gai, disait un jour un diplomate distingué, qu’un Irlandais qui n’a rien dans le ventre : c’est son beau moment. Alors il se rit de la Providence, il se moque de la reine, il raille l’Angleterre, il nargue le monde entier. Mettez un autre homme à sa place, un Anglais par exemple : il succombera en grommelant sourdement, comme une bête de somme, sous un poids trop lourd, et pour ne plus se relever. — Un autre attribut de la nature féminine, c’est la résistance par accès et par boutades. La résistance irlandaise n’a pas non plus de patience et de durée, elle s’affaisse et fait place à un état de prostration qui se termine par un réveil subit et par des explosions de fureur sauvage. Alors des crimes de toute nature sont commis par cette population si douce et si gaie. On brûle, on assassine, et tout cela, hélas ! sans résultat. Le public recule devant ces fureurs sauvages qui s’apaisent bientôt d’elles-mêmes, et la protestation de l’Irlande devient une affaire de cours d’assises. Les partis politiques exploitent ces crimes stériles, la presse anglaise les exagère et les présente au monde comme une justification de la politique britannique : — Sanguinary Celts, Celtes sanguinaires, répètent à l’envi de cette race féminine les durs Anglo-Saxons, qui le lendemain du désastre