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même revenu sur la terre[1], et cette admiration, que sa jeunesse avait si vivement ressentie à ce moment de christianisme douteux encore où un de ses amis, nourri de ses pensées, osait rapprocher Platon et Plotin de Jésus-Christ[2], il ne la désavoue pas, même au déclin de sa vie et dans son plus considérable ouvrage[3].

Il y a là une méprise grave. Je n’en accuse pas la sagacité de saint Augustin, mais sa connaissance imparfaite des textes. En plusieurs endroits, il oppose, avec un rare à-propos et une sagacité extrême, Platon à ses récens disciples : il y a même un passage où il semble avoir entrevu que ce qui a égaré les platoniciens et Porphyre, c’est l’influence de l’Orient, ce souffle du mysticisme qui venait du côté de la Perse, de la Syrie et de la Chaldée ; mais en somme il ne croit qu’à des différences de détail et de surface, et il ignore les différences profondes. Eh bien ! je dis qu’il faut, non le regretter, mais s’en applaudir. Si saint Augustin eût mieux connu l’école d’Alexandrie, elle aurait pu le dégoûter du platonisme. Il a été bon qu’il n’eût de Platon lui-même qu’une connaissance partielle. Au lieu d’une méthode toujours délicate et hardie, quelquefois indécise ou téméraire, il a connu un système d’une admirable pureté. Comprendre par ses grandes lignes ce système, qui est le spiritualisme par excellence, et l’incorporer au dogme chrétien, voilà la tâche que la Providence réservait à saint Augustin. Ébauchée par saint Justin, par saint Clément d’Alexandrie, manquée et compromise par le génie ardent d’Origène, cette tâche convenait merveilleusement à saint Augustin, à la hauteur de sa raison, à la candeur de son âme, à l’étendue et à la rectitude supérieures de son génie. Voyez aussi avec quelle puissance il l’a accomplie : le christianisme et le platonisme, une fois unis par ses mains, il a été impossible de les séparer. Même au moyen âge, quand Aristote est devenu l’oracle des théologiens, le philosophe, comme on disait, quand saint Thomas a entrepris d’imprimer à la théologie chrétienne le cachet du péripatétisme, le fond platonicien et augustinien a subsisté. L’esprit du platonisme, comme une flamme mal étouffée, n’a cessé de vivre et de rayonner à travers tout le moyen âge, jusqu’au jour où Malebranche et Fénelon, Bossuet et Leibnitz, ont repris l’œuvre de conciliation entre l’idée platonienne et l’idée chrétienne sous la bannière hautement déployée de saint Augustin.


EMILE SAISSET.


V. DE MARS.

  1. « Cette voix de Platon, la plus pure et la plus éclatante qu’il y ait dans la philosophie, s’est retrouvée dans la bouche de Plotin, si semblable à son maître, qu’ils paraissent contemporains, et cependant assez éloigné de lui par le temps pour que le premier des deux semble ressuscité dans l’autre (Contr. Academ., lib. III, n. 41). »
  2. Voyez les Lettres, 71, p. 128, 1.
  3. Cité de Dieu, livre IX, ch. 17 ; livre X, ch. 2, 14.