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et n’ait pas entendu sa doctrine ? Non, sans doute ; et nous estimons, au contraire, qu’il l’a entendue d’une manière supérieure ; mais il n’en est pas moins vrai que la faible connaissance qu’il avait du grec l’a privé du plaisir exquis et délicat qu’un esprit tel que le sien n’eût pas manqué de trouver dans le commerce de Platon, et qu’il a été obligé de s’en rapporter à des intermédiaires, tantôt Victorinus, tantôt Cicéron, tantôt Apulée, tantôt enfin les amis qui l’entouraient à Milan, à Cassiciacum et à Hippone.

Par une suite inévitable et faute même de traduction, il n’a pu faire une étude régulière et complète des dialogues. On ne voit pas qu’il ait eu connaissance de toute une partie très considérable de l’œuvre de Platon, je veux parler des dialogues essentiellement consacrés à la méthode dialectique, tels que le Sophiste et le Parménide. Il parait avoir connu le Phédon, le Phèdre, la République, le Gorgias. Peut-être le seul dialogue qu’il ait pu lire avec application et dans toute son étendue, c’est le Timée, et encore, bien entendu, dans la traduction de Cicéron. Il est vrai que le Timée contient la théorie des idées, la doctrine de la Providence, la formation de lame et le système du monde, et pour un homme de génie connue saint Augustin, lire le Timée, c’est connaître, sinon Platon tout entier, du moins le meilleur de la métaphysique de Platon.

Demandons-nous maintenant jusqu’à quel point saint Augustin est entré en commerce avec ces philosophes qu’il appelle partout les platoniciens, et, en effet, ils prenaient ce titre ; mais comme ils ne le méritaient pas toujours, j’aimerais mieux les appeler les néo-platoniciens d’Alexandrie.

Saint Augustin en cite trois : Plotin, Porphyre et Jamblique, et il nomme à côté d’eux Apulée. Le nom de Jamblique, une seule fois mentionné dans la Cité de Dieu, ne reparaît plus, et c’est à Plotin et à Porphyre, à Porphyre surtout, que saint Augustin aime à s’adresser. Or, nous n’avons pas besoin de prouver, après ce qui a été dit, que saint Augustin n’a pas lu les Ennéades. Il emprunte plusieurs fois à Plotin de belles et profondes pensées, et même il en cite quelque part avec admiration ce passage d’un mysticisme tout chrétien : « Fuyons, fuyons vers notre chère patrie. Là est le Père et tout le reste avec lui. Mais quelle flotte ou quel autre moyen nous y conduira ? Le vrai moyen, c’est de devenir semblable à Dieu. » Mais cette page magnifique, dont saint Augustin ne cite que quelques lignes et par fragmens épars, devait être alors dans toutes les mémoires et dans toutes les bouches, et comment croire que l’homme qui a eu besoin d’Apulée pour connaître Platon serait allé chercher quelques traits de génie à travers les obscurités et les épines des Ennéades ? En eût-il existé une traduction latine, il est douteux que saint Augustin eût pu s’en servir. Il est clair d’ailleurs qu’un seul personnage est pour lui toute l’école d’Alexandrie : c’est Porphyre.

Porphyre, en effet, est de tous les Alexandrins le plus clair, le plus pratique, le plus accessible. Sa réputation était immense. Ses écrits contre les chrétiens le désignaient à l’attention de saint Augustin. Enfin il traite de préférence un ordre de questions que Plotin, pur métaphysicien, avait négligées, les questions religieuses et morales. Aussi n’est-il point douteux que saint Augustin n’ait fait les plus grands efforts pour connaître à fond les écrits de Porphyre. Il en cite les plus importans : la Lettre à Anébon, ouvrage,