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chair qu’après que Platon lui a fait comprendre qu’il y a un Verbe, une raison éternelle, et que ce Verbe est Dieu.

Telle est la suite exacte des phases successives qu’a traversées l’esprit d’Augustin : la lecture de l’Exhortation à la philosophie de Cicéron marque l’époque de son initiation à la vie intellectuelle. À dix-neuf ans, il est manichéen. À trente ans nous le trouvons dégoûté du dualisme et ballotté entre le scepticisme et le panthéisme. À trente et un ans, Platon s’empare de lui et le fixe dans les voies spirituelles. Un an après, il embrasse le christianisme en restant platonicien et reçoit le baptême des mains de saint Ambroise.

C’est ainsi qu’au moment décisif de la vie d’Augustin, l’union de la philosophie platonicienne et du christianisme s’est accomplie dans son esprit. Tour à tour matérialiste, platonicien et chrétien, l’histoire de ses pensées exprime l’évolution naturelle d’une âme d’élite. La vraie philosophie l’a arraché au sensualisme et l’a mis sur la voie de la religion ; celle-ci s’est ajoutée en lui à la philosophie afin de la rendre pratique et féconde. Désormais il enseignera que, pour s’affranchir de l’erreur, il faut d’abord être philosophe, mais qu’il faut être à la fois philosophe et chrétien pour posséder toute la vérité.


III

Nous croyons avoir marqué d’une manière précise l’influence qu’exerça sur saint Augustin la première connaissance qu’il eut des doctrines platoniciennes ; mais comment cette connaissance fut-elle acquise ? Quels sont ces livres platoniciens qui furent placés sous ses yeux par une main amie ? Et, pour généraliser la question, jusqu’où saint Augustin a-t-il poussé, dans le cours de sa carrière, l’étude des monumens du platonisme ? Ce problème difficile demande à être décomposé en plusieurs autres : Saint Augustin savait-il le grec ? a-t-il lu les dialogues de Platon dans le texte ? S’il n’a pu aborder l’original, par quels moyens et jusqu’à quel point a-t-il connu les dialogues ? Quels sont, parmi les philosophes néo-platoniciens, ceux dont il a connu les Écrits ? que savait-il de Plotin, de Porphyre, de Jamblique ?

Un premier point à établir, c’est que saint Augustin savait très imparfaitement le grec. Il s’accuse dans les Confessions, avec sa candeur ordinaire, d’avoir éprouvé de bonne heure pour la langue de Démosthène une répugnance invincible[1], et nous avoue tout net qu’il n’en entendait pas un mot : Nulla enim verba illa noveram. Son dégoût allait à ce point que les fictions d’Homère lui paraissaient sans attrait, à lui si épris des touchantes fictions de Virgile, et qui donnait à la mort de Didon ces larmes plus tard regrettées par un christianisme jaloux. Toujours sévère pour la nature humaine, mais plus sévère pour lui-même que pour tout autre, saint Augustin attribue son peu de goût pour le grec à ce fonds de corruption, fatal héritage des enfans d’Adam ; mais on en peut donner une explication plus douce et plus naturelle. À Tagaste et à Madaure, où saint Augustin commença ses études avant de les compléter à Carthage, rien ne disposait un jeune homme à comprendre la langue des Grecs et à goûter leur littérature. Carthage était

  1. Confessions, livre I, Ch. 13 et 14.