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et le vrai, qui sont les trois modes sous lesquels nous apparaît l’absolu qu’on nomme Dieu, comment les reconnaître au milieu des phénomènes et variables de la vie ? Palestrina est-il aussi beau que Mozart, et alors comment expliquer l’immense progrès qui s’est opéré dans l’art musical depuis l’auteur de la messe du pape Marcel jusqu’à l’auteur de Don Juan ! Peut-être le mot idéal mis à la place du beau soulèverait-il moins de difficultés, car l’idéal n’est pas toujours le même, il change avec les civilisations dont il est la plus haute, expression, et c’est alors que Palestrina et Mozart peuvent être les représentans de l’idéal d’une époque donnée, sans qu’on ait à contester le progrès qui s’est opéré de l’un à l’autre.

Le premier morceau du programme, un cantique à la Vierge que chantaient les confréries italiennes vers la fin du XVe siècle, est une prière en chœur sans accompagnement. Le caractère en est doux et placide, et l’harmonie purement consonnante n’admet ni mouvement dans les parties, ni accent mélodique bien prononcé. C’est le gazouillement pieux d’une âme d’enfant ou de jeune fille. Le second morceau, un Kyrie en chœur tiré de la messe de Josquin Després intitulée la, sol, fa, ré, morceau qui a été exécuté à l’école de Choron, et qui remonte à l’année 1504, est un tissu d’imitations dont le mérite consiste dans le mouvement des parties, et nullement dans l’idée ni dans l’expression musicale. L’Ave Maria à six voix, de Nicolo Gambert, maître de chapelle des empereurs Charles-Quint et Ferdinand, est plus compliqué et plus ingénieux encore que le morceau précédent, et se rattache au même ordre de faits. Ce n’est pas encore de la musique proprement dite, c’est de la dialectique de sons. Le Salve, Maria, hymne en chœur de Palestrina, qui terminait la première partie, est au contraire une prière d’une expression ineffable. C’est divin, et cependant réalisé avec les mêmes moyens qui étaient à la disposition de Nicolo Gambert : voilà le génie !

La villanella napolitaine à quatre voix qui ouvrait la seconde partie est une sorte de sérénade dont reflet est surtout dans le rhythme, qu’on voit naître et se dégager péniblement des étreintes du contrepoint. Les frottole vénitiennes à cinq voix, de Gastoldi, qui vivait à Venise en 1596, rentrent dans le même genre que le morceau précédent : c’est l’expression du bonheur de vivre et de se mouvoir. Le dialogue sentimental, pour violon, viole, basse de viole et violone, — tous appartenant à la famille des instrumens à cordes, — par Henri Schütz, qui vivait en Allemagne à la fin du XVIe siècle, est un morceau des plus curieux où l’on commence à voir s’agiter une sorte de fantaisie. Contenue dans un dessin d’accompagnement un peu vague, la mélodie encore timide semble chercher une issue, une note caractéristique qu’elle ne trouve pas, et dire comme Leporello, dans le sextuor de Don Juan :

Più che cerco
Men ritrovo
Questa porta sciagurata…

Il n’est pas inutile de faire remarquer que ce Schütz est un élève de l’école de Venise et de son illustre chef, Jean Gabrielli. Il faisait partie de ce groupe