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des concerts présument trop de l’érudition de leur public, ou bien ils ignorent l’importance d’une date précise pour l’appréciation d’une œuvre d’art. Quoi qu’il en soit, le motet de Bach a produit un grand effet, et, grâce à cet admirable morceau, le public a pu entendre, sans trop murmurer, la romance des Nozze di Figaro, — Voi che sapete, — chantée en français par Mme Boulard dans un style de cantatrice qui était digne des paroles qu’elle avait choisies.

Au troisième concert, qui s’est donné, le 11 février, le premier numéro du programme était rempli par l’ouverture et des fxagmens du premier acte d’Iphigénie en Aulide de Gluck. Comme cette ouverture a bien le caractère pathétique et terrible du drame à la fois épique et domestique qu’elle annonce ! C’est grand et solennel, et l’on peut affirmer qu’excepté les ouvertures de Weber, aucun compositeur dramatique n’a aussi bien que Gluck résumé, dans un prologue symphonique, la fable qu’il raconte. M. Bonnehée a chanté avec goût et un excellent style la partie d’Agamemnon. Le chœur des génies de l’Oberon de Weber, qui est venu après, forme, avec les accens lugubres de la tragédie de Gluck, le contraste le plus saisissant. Quelle poésie radieuse dans ce chant des génies élémentaires qui voltigent dans le bleu de l’éther et parsèment l’espace d’une harmonie insaisissable ! Voilà comme il faut traduire Shakspeare et ses rêves enchantés ! La séance s’est dignement terminée par la symphonie en la de Beethoven. Au cinquième concert, donné le 11 mars, le public a fait connaissance avec une nouvelle composition de Beethoven : c’est la musique qu’il a faite pour la tragédie de Goethe, Egmont. Cette œuvre, composée d’une ouverture et de huit morceaux qui s’attachent au drame et en éclairent les péripéties, remonte à l’année 1811. Dans une lettre qu’il écrivit à Bettina, le grand symphoniste le prie de le rappeler au souvenir de Goethe, en lui disant qu’il s’occupe avec le plus grand bonheur de mettre en musique son Egmont, La partie saillante de ce mélodrame, que le public a très bien accueilli, nous a paru être surtout le fragment symphonique qui peint la mort de Claire et la symphonie triomphale de la fin. Ces fragmens ont été répétés au huitième concert et mieux appréciés de la masse des auditeurs. Au sixième concert, donné le 15 mars, nous avons remarqué un air d’Anacréon de Grétry, charmant morceau que M. Bonnehée a fort bien chanté, et des fragmens d’un ballet de Beethoven, Gli uomini di Prometeo, ballet qui a été représenté pour la première fois à Vienne en 1799, et sur le théâtre de la Scala à Milan en juin 1813. Le sixième concert a été remarquable par l’exécution irréprochable, de la symphonie pastorale et celle du Songe d’une Nuit d’été de Mendelsshon, dont le public a fait répéter deux parties, l’allégro appasstonato si délicieux, et le scherzo non moins remarquable.

Le chant est à la Société des concerts, comme partout ailleurs, la partie faible et malade. On ne s’explique pas que dans une école qui forme les premiers instrumentistes du monde, on ait admis et couronné de roses des voix et des organisations aussi frêles que celles de Mlle Boulard, de Mlle Rey et de tant d’autres médiocrités qui peuplent l’Opéra-Comique et les théâtres de province. Pas une voix de ténor, pas une basse bien caractérisée, pas un soprano qu’on puisse entendre sans souffrir pour la poitrine de la pauvre