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personne n’aurait jamais songé à lui contester. Qu’il se trouvât ou non d’accord avec l’opinion publique, pourvu qu’il se montrât dans la discussion sincère, loyal et poli, les admirateurs les plus fervens de ces deux illustres écrivains ne devaient pas songer à lui demander compte du motif de ses conclusions ; mais les pages qu’il vient d’écrire n’appartiennent pas à la discussion telle que la conçoivent et la pratiquent les gens bien élevés. C’est une double diatribe, où le goût n’a rien à voir, où le bon sens et le respect de soi-même sont foulés à chaque ligne. M. de Pontmartin a recueilli sur George Sand des quolibets à double sens, des railleries graveleuses, qui seraient à peine applaudies dans un corps de garde ou un estaminet. Dire de pareilles choses est une faute grave ; les imprimer, les prendre publiquement sous sa responsabilité, est cent fois pis encore. Que M. de Pontmartin ne s’y trompe pas, il vient de sortir du domaine littéraire pour entrer sur un terrain sans nom, où les gens qui ont quelque soin de leur dignité ne mettent jamais le pied. Les injures qu’il prodigue à Béranger excitent encore moins de colère que de pitié. Signaler l’auteur du Dieu des bonnes gens comme un type achevé de perfidie et de perversité, le déclarer vil et méprisable, appeler sur sa tête la malédiction, le dénoncer comme un fléau, comme une peste, dire qu’il a voulu, qu’il a préparé les calamités publiques, ce n’est pas, quoi que puisse penser M. de Pontmartin, servir le trône et l’autel ; c’est une calomnie odieuse et ridicule, à moins que ce ne soit tout bonnement un acte de folie.

M. de Pontmartin n’a pas pour lui l’excuse de la bonne foi, il ne peut se retrancher derrière une conviction inébranlable, car les dernières pages qu’il vient de publier sont un modèle d’inconséquence et de mobilité. Qu’il n’essaie pas de se justifier en affirmant que son dévouement à la monarchie traditionnelle, sa ferveur catholique, ont guidé sa plume, et ne lui permettaient pas de parler autrement : un tel argument serait accueilli avec le plus profond dédain par tous les lecteurs qui ont suivi depuis quelques mois ses étranges évolutions. Ils n’ont pas oublié que M. de Pontmartin, après avoir injurié Béranger au nom du trône et de l’autel, a loué Henri Heine, qui ne compte pourtant pas parmi les défenseurs de l’oriflamme et de la sainte ampoule, et qui plus d’une fois s’est rendu coupable d’hérésie. Il suffit de rapprocher l’éloge de Henri Heine des apostrophes outrageantes prodiguées à Béranger pour apprécier la moralité ou l’étourderie littéraire de M. de Pontmartin. Il a perdu le droit d’invoquer à l’avenir sa foi politique et religieuse. Qu’il ne parle plus de son roi ni de son Dieu pour expliquer sa sévérité envers les écrivains animés de sentimens démocratiques ou coupables de philosophie : cette excuse a désormais perdu tout crédit. C’est à la vanité qu’il faut demander tout le secret de sa conduite et de ses incroyables