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déclare hostile au progrès, indigne, en un mot, d’un siècle vraiment éclairé, il a visité librement l’Égypte et la Grèce, la Syrie et la Turquie ; il a promené son loisir de Thèbes à Athènes, de Beyrouth à Constantinople ; ses yeux ont contemplé les plus riches paysages, et pourtant il maudit l’héritage ! Tant que vivra cette vieille institution, il n’y a rien à espérer de la richesse ; le sac d’argent ne sera jamais qu’un encouragement pour le crime et ne soulagera aucune misère. Abolissons l’héritage, et tout change comme par enchantement. Plus de souffrances dans les mansardes, plus d’artistes défaillans, plus de talens méconnus. L’âge d’or va renaître ; une félicité universelle prend possession du globe tout entier ; une joie sans cesse renouvelée monde tous les cœurs. M. Du Camp n’oublie qu’une chose : l’héritage une fois aboli, si ce rêve insensé venait jamais à se réaliser, le travail, source de la richesse, se ralentirait bientôt. Quel homme en effet voudrait vouer au travail les trois quarts de sa vie, s’il ne devait rien laisser à ses enfans ? Supprimez la pensée de l’avenir, et vous engourdissez l’activité humaine. Mais à quoi bon discuter sérieusement une telle boutade qui se donne pour une théorie ? On ne réfute pas une thèse réfutée d’avance par tous les hommes qui comprennent le sentiment de la famille. Disons seulement que, pour une boutade, la pièce est bien longue.

Pour donner une idée précise de l’anarchie qui règne dans notre littérature, il est bon de rapprocher le nom de M. Alfred Busquet du nom de M. Maxime Du Camp. L’auteur des Chants modernes prêche une croisade contre la mythologie, et parait croire que, la mythologie une fois tuée, la poésie va retrouver une jeunesse et une vigueur dignes des plus beaux temps de l’art. M. Alfred Busquet se place en pleine mythologie pour écrire le poème des Heures. C’est pourtant un jeune homme, un débutant ; je ne me charge pas de le protéger contre la colère de M. Du Camp. L’amour de la mythologie n’est donc pas un certificat de vieillesse. À vrai dire, je m’en doutais un peu. Je ne suis cependant pas fâché de trouver sous ma main un argument nouveau à l’appui de ma croyance. Il y a dans le livre de M. Bosquet quelques pages qui révèlent un sentiment poétique assez élevé, l’intelligence du paysage et des phénomènes de la nature ; mais, puisque l’auteur invite la critique à l’étude sincère de son œuvre, il doit souhaiter qu’on lui dise la vérité. Or, après une lecture attentive, je demeure convaincu que chez lui l’expression n’est pas à la hauteur de la pensée. Il sait ce qu’il veut dire, et les sentimens qu’il se propose de traduire sont généralement vrais ; mais il n’a pas étudié avec assez de soin et de persévérance les secrets de notre langue, et la langue ne lui obéit pas. À côté d’une image bien choisie, on trouve trop souvent un terme prosaïque dont la poésie