Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est morte sans retour, et qu’il faut appeler les choses par leur nom. Je ne vois pas grand mal à proscrire la mythologie, quoiqu’il vrai dire cette proscription me semble à peu près inutile : autant vaudrait condamner à l’exil un homme qui depuis vingt ans aurait quitté son pays et juré de n’y pas rentrer. Quand on fait blanc de son épée, il serait de bon goût de ne pas s’escrimer contre un ennemi à terre. Qui donc aujourd’hui défend la mythologie ? qui songea la défendre ? Pour un esprit belliqueux, une victoire remportée sur les dieux païens est vraiment une victoire trop facile ; il n’y a pas de quoi se glorifier. M. Du Camp ne veut plus entendre parler de Bacchus ; il aime mieux les brocs, et recommande Rabelais comme le type de la vérité. Si le joyeux curé de Meudon était appelé à donner son avis dans la discussion, je doute fort qu’il se rangeât de son côté, car il avait pour l’antiquité une passion qui s’explique tout à la fois par la nature de son génie et par la variété de ses études. Tout en parlant volontiers la langue des buveurs attablés au cabaret, il ne dédaignait pas, il ne proscrivait pas les souvenirs d’Homère et de Virgile ; il célébrait le choc des brocs et la purée septembrale sans déclarer mortes à jamais les locutions et les images consacrées par tant d’œuvres exquises.

Mais ce n’est pas le seul reproche que je doive adresser à M. Du Camp. S’il se fût contenté de terrasser un ennemi vaincu d’avance, de plaider une cause gagnée, il se confondait dans la foule des écrivains qui se donnent pour novateurs et se bornent à rajeunir des vieilleries. Il a trouvé moyen d’introduire dans ces redites une originalité inattendue. Chemin faisant, il détrône Jupiter, Apollon et Diane. Jupiter ne lance plus la foudre, célébrons l’électricité. Apollon ne conduira plus les muses ; Phébus ne sera plus le dieu du jour ; Diane ne présidera plus à la chasse ; Phœbé ne promènera plus son char discret dans l’azur des nuits : c’est à merveille ! Le soleil et la lune vont remplacer Phébus et Phoebé ; mais en balayant ou plutôt en démolissant l’Olympe comme une décoration de théâtre qui ne vaut plus même les frais de magasin, il commet une bévue qui amènera le sourire sur bien des lèvres ; il confond l’ambroisie et le nectar. Or, qu’on soit ami ou ennemi de la mythologie, encore faut-il la connaître, dès qu’on en veut parler. Tous ceux qui ont vécu dans le commerce d’Horace et de Virgile savent très bien qu’entre l’ambroisie et le nectar il y a la même différence qu’entre le pain et le vin. Une vérité si élémentaire, familière aux enfans assis sur les bancs de nos collèges, n’aurait pas dû s’effacer de la mémoire de M. Du Camp. Puisqu’il a eu le bonheur de visiter la Grèce, de gravir l’Hémus, le Parnasse et l’Olympe, de cueillir des lauriers roses sur les bords de l’Eurotas, il est doublement coupable lorsqu’il commet