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au mouvement des corps célestes ; mais bah ! qu’importe ? Vous ne voulez pas devenir savant ; vous n’avez qu’une ambition, bien modeste assurément : posséder la science ! Vous voulez raconter les phénomènes qui s’accomplissent tous les jours sous nos yeux, les phénomènes électriques ou magnétiques, parler de la télégraphie nouvelle ou de la boussole ? A merveille, c’est une généreuse pensée, un glorieux dessein ; mais sachez que l’étude du magnétisme et de l’électricité sont parfaitement inutiles, car votre visée ne va pas à devenir savant, mais à posséder la science. Plus je pèse le conseil de M. Du Camp, et plus mon admiration pour lui s’échauffe et s’agrandit. Parler des choses qu’on ignore, et en parler d’autant mieux qu’on les ignore plus profondément, quelle source féconde, quel moyen puissant de régénération pour la poésie, pour la poésie moderne bien entendu, car la poésie routinière, qui tient compte de la tradition, n’a rien à voir dans ce débat ! Les affinités des corps, la combinaison des élémens, la vie des lichens et des polypes vont devenir pour les poètes nouveaux l’intarissable matière d’iliades sans nombre, et ce qu’il y aura de plus merveilleux dans l’enfantement de ces futures épopées, c’est que les Homères que nous coudoyons chaque jour, qui n’attendaient que la parole de M. Du Camp pour se révéler, n’auront pas besoin de se résigner aux mêmes études que leur aïeul. Ils parleront de physique, de chimie, de botanique, sans avoir jamais consulté ni Biot, ni Thénard, ni de Candolle, tandis qu’Homère, premier du nom, s’était abaissé jusqu’à recueillir les traditions populaires sur le siège de Troie et les voyages d’Ulysse ; il est vrai qu’Homère n’avait pas encore deviné qu’on peut posséder la science sans être savant. L’immortel honneur de cette admirable découverte revient tout entier à M. Du Camp, et j’espère bien que la génération nouvelle saura la mettre à profit. Quelques esprits chagrins demanderont peut-être si la poésie, en se proposant de vulgariser la science et l’industrie sans prendre la peine de les étudier, ne va pas au-devant d’une défaite certaine, s’il ne vaudrait pas mieux s’en tenir aux vieux erremens, à l’étude de l’histoire et des passions. Nous plaignons de tout notre cœur ces esprits chagrins, qui ne comprennent pas la mission de la poésie moderne. Soyons de notre temps : tel est le conseil de M. Du Camp. Puisque les bateaux à hélice et le métier Jacquart sont les rois du monde, chantons ces rois nouveaux !

M. Du Camp a mis en œuvre ses théories avec une franchise dont nous devons lui tenir compte. Si la préface de son livre ne suffisait pas pour montrer le néant des idées qu’il appelle nouvelles, ses Chants modernes dissiperaient nos dernières illusions. La pièce adressée aux poètes de son temps n’est qu’une déclamation banale en vers rimes tant bien que mal, destinée à prouver que la mythologie