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pauvres que sur les riches, sur le tisserand des environs de Manchester par exemple prenant le chemin de fer une fois la semaine pour rapporter sa pièce chez le fabricant que sur l’opulent seigneur voyageant pour distraire ses ennuis. Ce système créait d’ailleurs entre les lignes de choquantes inégalités. Celles qui traversaient des pays pauvres et comptaient beaucoup de voyageurs de la troisième classe payaient à l’état jusqu’à 20 et 25 pour 100 de leurs recettes, tandis que la redevance était presque insensible pour les compagnies dont la clientèle se composait surtout de voyageurs de la première catégorie. Trop fidèles à l’esprit de cette législation partiale, les compagnies s’étaient montrées de la plus révoltante dureté envers les individus occupant les places les moins chères. Non-seulement on les entassait dans des wagons découverts, comme à l’origine ou avait voulu le faire chez nous, mais on ne leur donnait pas même un siège ; ils étaient obligés de se tenir debout pendant les plus longs trajets. En vain les compagnies voulurent ici encore défendre leur droit ; elles furent contraintes de fléchir sous la pression de l’opinion publique offensée. Depuis cette époque, les wagons de troisième classe sont couverts et garnis de bancs ; des trains, appelés trains parlementaires en mémoire de la décision qui les imposa, partent une fois par jour sur toutes les lignes avec l’obligation de parcourir au moins 19 kilomètres à l’heure ; le prix du transport par ces convois spéciaux est abaissé à 1 penny par mille dans les voitures de troisième classe, ce qui fait encore presque 6 centimes 1/2 par kilomètre. Le trésor public a renoncé à toute taxe sur les trains parlementaires. L’impôt par tête est d’ailleurs remplacé aujourd’hui par un prélèvement de 5 pour 100 sur les recettes brutes des chemins de fer.

Désarmé contre les abus de la spéculation, le gouvernement l’était encore davantage peut-être contre les exigences abusives de la propriété foncière, ou plutôt il était tellement incarné dans la propriété foncière, qu’il ne pouvait pas même éprouver le besoin de réagir contre des actes du plus odieux caractère. Lorsqu’après des résistances aveugles la propriété finit par se prononcer sans réserve pour les voies ferrées, sa faveur ne fut pas moins onéreuse aux compagnies que ne l’avait été son opposition. C’était toujours à des tributs écrasans qu’il fallait se résigner. Les faits les plus scandaleux se pressent ici. Entre mille exemples de ce genre, il en est un dont le retentissement a été considérable, qui donner à une idée de ces exactions commises au grand jour sous l’égide des lois. La compagnie des comtés de l’est avait promis à un riche propriétaire, lord Petre, une somme de 3 millions de francs comme prix d’une petite portion de terrain qui valait tout au plus 125,000 francs. Ce n’était évidemment pas le terrain qu’on achetait, mais l’adhésion d’un personnage influent. Ecrasée sous ses charges, comme on l’a vu, cette compagnie tâcha d’obtenir quelque réduction sur un engagement entaché d’un vice originel ; mais elle n’osa porter sa requête devant les tribunaux. Fort de sa position parlementaire, lord Petre ne voulut entendre à aucun tempérament, et sa seigneurie reçut en fin de compte les 3 millions avec les intérêts pour chaque jour de retard. Comme tout propriétaire voulait ainsi battre monnaie aux dépens des compagnies, les terrains étaient vendus à des prix inimaginables. Sur le chemin de Londres à Birmingham,