Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/784

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Le premier, c’est qu’ils considèrent le bénéfice qu’on peut attendre d’une jument comme l’un des plus considérables, puisque l’on a vu des Arabes retirer jusqu’à 15 ou 20,000 douros (75 ou 100,000 f.) des produits d’une seule jument. On les entend souvent s’écrier : La tête de la richesse, c’est une jument qui produit une jument.


« Et cette pensée est encore corroborée chez eux par notre seigneur Mohammed, l’envoyé de Dieu ; il a dit :

« Préférez les jumens, car leur ventre est un trésor, et leur dos un siège d’honneur.


« Le plus grand des biens est une femme intelligente, ou une jument qui donne beaucoup de poulains. »

« Ces paroles sont expliquées ainsi par les commentateurs : leur ventre est un trésor, parce que la jument, par ses produits, augmente la fortune de son maître, — et leur dos un siège d’honneur, parce que l’équitation de la jument est plus agréable et plus facile ; on va même jusqu’à prétendre que par la douceur de ses allures elle pourrait à la longue amollir le cavalier.

« Le second motif, c’est que la jument ne hennit pas à la guerre, qu’elle est plus insensible que l’étalon à la faim, à la soif, à la chaleur, et qu’elle rend dès lors plus de services à un peuple dont la fortune consiste en troupeaux de chameaux et de moutons. Or tout le monde sait que les chameaux et les moutons ne prospèrent véritablement que dans le Sahara, où les terres sont tellement arides que beaucoup d’Arabes, s’abreuvant habituellement de lait, ne peuvent boire de l’eau que tous les huit ou dix jours. C’est une conséquence de la longue distance qui sépare souvent les campemens pratiqués en vue des pâturages des lieux où il y a des puits.

« La jument est comme le serpent, sa force s’augmente au moment de la chaleur et dans les terres brûlantes. Le serpent qui vit dans un pays froid ou dans l’eau a peu de courage et de venin, de telle sorte que sa morsure est rarement mortelle, tandis que le serpent qui vit dans un pays chaud est plus vif, et voit s’accroître la violence de son poison. Au contraire du cheval, qui supporte moins bien les ardeurs du soleil, la jument (et cela tient sans doute à sa constitution) sent redoubler son énergie au plus fort de la chaleur.

« Le troisième motif enfin, c’est le peu de soins que nécessite la jument. Elle se nourrit de peu, son maître la conduit ou l’envoie manger des plantes avec les moutons et les chameaux ; il n’a pas besoin d’instituer un gardien qui soit toujours présent.

« L’étalon, lui, ne saurait se passer d’être mieux nourri, et son maître ne peut l’envoyer au pâturage que surveillé par un saïs (palefrenier), car s’il voit une jument, il la suit.