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Détruire l’objection principale qui a été faite, et qui tendrait à donner à la jument une influence plus grande qu’à l’étalon sur le produit ; — prouver par ce qui vient de se passer en Crimée, par tous les renseignemens qui sont parvenus à ma connaissance, que le cheval arabe doit être considéré comme le premier cheval de guerre du monde ; — montrer enfin la part qui lui est faite dans le système général de notre remonte, le parti que l’on peut en tirer pour améliorer nos races légères, — tel est ici mon but.

Je commence par répondre à l’objection qui donne à la jument la supériorité sur l’étalon, ou plutôt je laisse le soin d’y répondre à un homme dont la compétence ne saurait être récusée, car il a toujours passé pour l’un des meilleurs cavaliers dans un pays où l’on distingue seulement ceux qui sont réellement hors ligne : je veux parler de l’émir Abd-el-Kader, qui a fait du cheval une étude spéciale, et dont l’autorité est si grande en cette matière, qu’aucun Arabe n’oserait même contester ses assertions.

Le procès qui s’est élevé sur la question de savoir quelle est l’influence relative de l’étalon et de la jument sur le produit ne date pas d’aujourd’hui. Toujours on se plaît à nous représenter un Arabe à côté de sa jument ; l’or de l’acheteur brille à ses pieds, mais pendant que l’on compte cet or pour le lui donner, l’enfant d’Ismaïl jette un coup d’œil mélancolique sur le noble animal dont il ne peut se séparer, s’élance sur son dos et s’enfonce dans le désert : l’œil ne sait bientôt plus où il a passé.

Ce procès resté pendant depuis des siècles, il est temps de le vider une fois pour toutes, puisque de la solution du débat peut dépendre en grande partie la ruine ou l’amélioration de nos races. M. Petiniaud, inspecteur des haras, vient d’ailleurs de raviver cette discussion. Dans une lettre qu’il m’a fait l’honneur de m’adresser, et que je demande la permission de reproduire ici, ce savant hippiatre affirme que, chez les Arabes, la jument est tenue en plus grande estime que le cheval, d’où cette conséquence, que la pureté de la race chez la jument est considérée par eux comme plus importante que chez l’étalon. Cette observation devait d’autant plus m’émouvoir, que M. Petiniaud vient d’être chargé par le gouvernement de parcourir les pays musulmans de l’Asie pour y acheter des chevaux de pure race orientale. Par ses connaissances approfondies sur la matière, par le but même de son voyage, il était en mesure de contrôler mieux que personne les opinions que j’ai émises, ainsi que mes assertions sur la manière dont les Arabes envisagent ces questions. Je laisse d’abord parler M. Petiniaud.


« Paris, ce 28 octobre 1854.

« Après trois ans de courses chez les tribus qui campent depuis Diarbekir