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par conséquent, non à des ordres reçus, mais bien à des entraînemens de son choix.

Il n’est donc que strictement juste de ne pas confondre David avec tous ses séides et de lui demander compte seulement, au lieu d’abus qui ne sont pas de son fait, de l’autorité directe qu’il exerça. Et d’abord quel est le rôle d’un maître ? en quoi consistent ses devoirs ? jusqu’où peut s’étendre son action sur l’esprit des élèves ? S’il suffisait, pour enseigner la peinture, d’expliquer des procédés matériels et d’en surveiller l’emploi, nul doute que tout homme vieilli dans le métier pût convenir à cette modeste besogne. Au lieu d’un artiste dirigeant ses disciples, il n’y aurait en ce cas qu’un patron entouré de ses apprentis, et ceux-ci, une fois en possession des recettes, arriveraient vite à les pratiquer à souhait ; mais les conditions à remplir ne sont ni si simples ni si faciles. La tâche du maître a un caractère complexe ; il doit initier les jeunes gens qui lui sont confiés aux secrets techniques que l’expérience lui a révélés et leur transmettre ses propres principes ; il doit d’un autre côté faire jusqu’à un certain point abnégation de son sentiment personnel en face des inclinations particulières qu’il entrevoit, des résistances instinctives qu’on lui oppose. On conçoit dès lors la nécessité d’une pénétration aussi fine qu’impartiale. C’est peu de signaler à un élève les fautes de proportion qu’il a pu commettre ou la discordance des tons qu’il a employés dans l’imitation d’un modèle : les avis de ses camarades éclaireraient au besoin celui qui a failli de la sorte, et l’intervention du maître en pareil cas n’est pas d’une utilité indispensable. En revanche, cette intervention peut être très efficace là où il s’agit de tendances à développer, d’hésitations à vaincre ou de progrès à stimuler. Il faut enfin que les leçons soient données non en vertu d’un système immuable et uniforme, mais en raison des besoins, des dispositions de chacun, et que, hormis certaines lois impérieuses pour tous, il n’y ait rien dans les avis du maître qui ne se plie aux aspirations et aux préférences individuelles.

Cette habileté à deviner les aptitudes, cette faculté de s’oublier soi-même pour tenir compte avant tout des intentions d’autrui, David les possédait à un degré remarquable. Il va sans dire qu’il ne poussait pas le désintéressement si loin qu’il répudiât ses propres principes en entrant dans l’atelier de ses élèves : là comme ailleurs, il admirait hautement l’antique et en recommandait l’étude ; mais il ne parlait ainsi qu’aux jeunes gens dont l’organisation lui semblait assez forte pour être mise au régime qu’il avait suivi lui-même. Les exemples qu’il proposait aux autres étaient, suivant le cas, les tableaux italiens ou même ceux des petits maîtres flamands. Partout où il surprenait quelque trace d’originalité, quelque indice d’une