artiste de génie, il faut au moins l’honorer comme un de ces talens utiles qui refont à propos la grammaire de l’art et en définissent clairement la syntaxe.
Peut-être cette prédominance de la volonté sur le sentiment, que laissent voir les œuvres du peintre, expliquerait-elle le rôle que joua l’homme public dans les événemens de la révolution. Certes on serait mal venu à essayer de justifier la carrière politique de David : trop de faits accablans interdisent même la tentation de l’excuser, et le moins qu’on puisse dire en s’autorisant seulement des tristes discours du député de Paris, c’est qu’il se montra aussi niais dans son exaltation révolutionnaire qu’impitoyable dans ses vengeances. Et de qui avait-il à se venger, grand Dieu ! Des membres de l’Académie ? Ils s’étaient empressés de l’accueillir dans leurs rangs, et le jour où, fulminant à la tribune de la convention[1] un réquisitoire contre ses confrères, il prétend découvrir « dans toute sa turpitude l’esprit de l’animal qu’on nomme académicien, » comment n’a-t-il pas honte de lui-même, lui qui a dû ses premiers succès, que dis-je, la vie peut-être à l’un de ceux qu’il poursuit maintenant de ses outrages[2] ? Avait-il mieux le droit d’invectiver le trône ? Mais cet homme qui ne veut voir dans les souverains que « des tyrans redoutant jusqu’aux images des vertus, » dans les grands que « des sybarites gorgés d’or, » demandant aux arts « la satisfaction de leur orgueil ou de leur caprice, » oublie donc qu’il a été, lui le peintre de la vertu, pensionné, applaudi, encouragé de toutes façons par ces prétendus apôtres du vice ? Enfin se souvenait-il davantage des amis de sa jeunesse, du noble André Chénier par exemple, celui qui, osant se glorifier de son amitié pour Marat, immortalisait sur la toile cette erreur effroyable ? Non, les fureurs de David ont la même origine que les faiblesses de sa pensée. À force de se raidir dans un système de réforme à outrance, il n’a plus, même en face du bien, qu’un cœur atrabilaire ou infirme. Terroriste ou peintre, il ne prend conseil que de son cerveau, et les emphatiques pauvretés qu’il s’en vient débiter à la tribune trahissent, aussi bien que la composition théâtrale du Serment du Jeu de Paume, la rigueur du parti-pris, une froide imagination et un dogmatisme sans entrailles.
- ↑ 8 août 1793.
- ↑ Doyen s’était montré de très bonne heure hautement favorable à David, qui cependant ne put obtenir le grand prix de Rome qu’en 1775. L’année précédente, il avait échoué pour la quatrième fois. Vaincu par le découragement ; il résolut de se laisser mourir de faim, et vingt-quatre heures s’étaient écoulées déjà lorsque Doyen réussit à se faire ouvrir la porte de la chambre où David se tenait renfermé. À force d’exhortations et de prières, le peintre académicien finit par triompher du désespoir de son jeune protégé, qu’il servit ensuite avec un redoublement de zèle quand vint l’époque d’un nouveau concours.