Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/757

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

abandonné aux hasards de l’exécution, où tout atteste la réflexion et les calculs, la pensée a conscience d’elle-même. Bien des tableaux ont une éloquence plus entraînante : il n’en est guère dont le sens soit moins douteux, ni l’action sur le raisonnement plus directe. Faut-il conclure de là que les disciples de David, et David lui-même, doivent être comptés parmi les plus grands maîtres de l’école française ? A Dieu ne plaise que nous exhaussions à ce niveau le peintre des Sabines ou le peintre d’une Scène de Déluge, et que nous confondions la majestueuse sérénité de Poussin, le sentiment exquis de Lesueur, avec les efforts de volonté accomplis par les peintres modernes ! Nous avons voulu au contraire, en indiquant le caractère général de l’école, faire pressentir d’abord ce qu’elle a d’insuffisant, eu égard à certaines conditions de l’art. Voyons maintenant ce que fut le maître lui-même, et quelle opportunité pouvait avoir la réforme qu’il entreprit. La portée véritable de son œuvre et de son rôle sera ainsi plus facile à saisir.


I

Si l’on compare l’époque où allaient paraître les premiers tableaux de David à l’époque qui avaient illustrée les peintres du XVIIe siècle, la décadence de la peinture française est un fait qui frappe tous les yeux de l’esprit, mais nulle conscience, un goût sans élévation, sinon sans finesse, une facilité impertinente et une grâce toute l’utile, voilà ce que nous montrent à première vue les tableaux de Boucher et de ses émules, caquetages de pinceau, pour ainsi dire, beaucoup trop remis en honneur depuis quelques années, et qui au fond ne méritent ni plus ni moins d’estime que les impromptus galans et les petits vers du temps. L’école cependant ne se résumait pas tout entière dans cette phalange d’artistes qui décoraient d’une main si leste les éventails et les boudoirs. Sans parler de Joseph Vernet, de Chardin, et de quelques autres paysagistes ou peintres de genre plus honorablement inspirés, on trouverait bien des talens véritables parmi les peintres d’histoire et surtout parmi les peintres de portrait. Il y a donc exagération dans l’opinion, si souvent émise par les admirateurs de David, sur l’état de la peinture en France vers la fin du XVIIIe siècle. L’art n’était pas tombé dans la barbarie, comme on l’a dit pour rehausser d’autant la gloire du réformateur. Les doctrines étaient corrompues, cela est évident ; mais l’habileté ne faisait certes pas défaut à une école où figuraient, entre autres gens de mérite, Doyen, Greuze, Duplessis et le statuaire Houdon.

David d’ailleurs ne puisa pas l’idée d’une régénération de l’art dans ses seules convictions, loin de toute direction et de toute influence