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et le catholicisme. Est-il impossible cependant de sortir de cette impasse, et tout espoir est-il perdu ? Entre le XVIIIe siècle et le catholicisme il n’y a pas de réconciliation possible, et toute idée d’un arbitrage et d’une médiation est vaine et puérile ; mais n’y a-t-il malgré cela rien à faire ? Devons-nous laisser au temps tout seul le soin de dénouer cette crise ? Que ces deux grandes puissances continuent leur débat, et nous tous, en suivant d’un œil calme et en spectateurs désintéressés les vicissitudes de cette lutte, disons honnêtement ce que nous avons à dire. À la fin peut-être un nouvel élément inattendu surgira-t-il qui mettre fin à ces disputes. Et dès à présent, sans prendre parti, sans écrire de pamphlets, de notre coin solitaire nous pouvons recommander à notre siècle bien des vérités importantes qu’il ne connaît plus, et qui serviraient, si elles étaient retrouvées, à hâter l’heure de la paix. Ne pouvons-nous donc pas, par exemple, rappeler à nos contemporains, qui ne le savent plus, que ce monde merveilleux dans lequel nous vivons n’est pas un assemblage de forces matérielles créées seulement pour les besoins de l’homme, mais qu’il repose sur une idée divine, et qu’il est destiné à être le théâtre d’un drame providentiel et divin, — que l’homme a été destiné par conséquent à poursuivre un but divin, le triomphe absolu du bien et de la vérité ? Ce point de départ une fois adopté, le XVIIIe siècle tombe en ruines ; car si l’homme a une mission divine, il n’a plus sa fin en lui-même, et la société n’existe plus en vue de l’homme : elle existe en vue de sa mission et pour la gloire du Dieu éternel qui la lui donna dès les premiers jours du monde. L’élément théocratique et divin, fondement nécessaire des sociétés, aujourd’hui méconnu et remplacé par cette idée athée, — que l’homme n’a d’autre but que lui-même, et que la société n’a d’autre but que l’homme, — reparaît donc, mais sous sa forme pure, non enveloppé dans les langes d’une église exclusive et restreinte, quelque large et tolérante qu’elle soit. Le jour où cette idée sera devenue une croyance, la lutte entre le XVIIIe siècle et l’église sera bien près d’être finie. Pour le moment, nous sommes riches et puissans ; nous avons des manufactures, des chemins de fer et des capitaux immenses : il ne nous manque qu’une chose qui était abondante autrefois avant les chemins de fer et les manufactures, le sentiment du divin. Réveillez donc ce sentiment, vous tous qui avez une voix pour parler ; réveillez-le honnêtement, impartialement, sans esprit de sectaire. Là est maintenant, j’en ai la ferme conviction, l’unique route à suivre, l’unique méthode à employer, l’unique but à poursuivre, digne d’un esprit élevé, libre de préjugés, religieux enfin, dans le sens naturel du mot. Là est aussi l’unique moyen de sortir de l’impasse dans laquelle le XVIIIe siècle nous a jetés.


EMILE MONTEGUT.