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Le XVIIIe siècle n’a certainement pas contenu un cynique plus scandaleux que Bussy Rabutin, un roué plus impertinent que Lauzun, un prélat plus esprit fort et plus libertin que le cardinal de Retz. M. Nicolardot parle d’escroqueries, de dettes, de lettres de change non payées, n’a-t-il donc jamais lu les mémoires du chevalier de Grammont, et ignore-t-il que les plus grands seigneurs n’avaient point honte de tricher au jeu ? Les trois derniers siècles se valent en infamies, à prendre les choses à un certain point de vue ; mais le XVIIIe siècle n’a pas pour racheter ses vices ce que possèdent le XVIe et le XVIIe siècle, de grands caractères et de grandes vertus.

Voltaire est-il un fripon ? M. Nicolardot le prétend, mais ne le prouve point. Nous n’avons trouvé dans ce livre que les vieilles histoires que nous connaissions depuis longtemps, l’anecdote du couteau de chasse racontée par Marmontel par exemple et les démêlés avec le président de Brosses. Nous citons ces deux faits parce qu’ils peuvent être pris comme mesure exacte des reproches qu’on peut adresser à Voltaire. Toutes les anecdotes ramassées par M. Nicolardot sont, ou comme l’affaire du couteau de chasse, des bizarreries d’homme d’esprit, ou comme l’affaire avec le président de Brosses, des petitesses et des vilenies d’homme nerveux. Quant aux lésineries fréquentes de Voltaire, elles s’expliquent très bien par la fatigue qu’éprouvent les gens même les plus généreux : il arrive un moment où ils sont las de donner et où ils lésinent sur des sommes insignifiantes. Voltaire réclamait quelquefois par voie légale le paiement de ses rentes : mais c’était son droit ; M. Nicolardot ne le contestera pas, et d’ailleurs, dans la plupart des cas, il n’a recouru aux voies légales qu’après avoir patienté longtemps. Nous cherchons vainement dans tout cela où sont les friponneries de Voltaire. À bout de ressources, M. Nicolardot reproche à Voltaire de n’avoir jamais rien dépensé pour ses maîtresses. Nous ne comprenons pas ce reproche : il eût été bien plus ingénieux de l’accuser de leur avoir volé des diamans, et cette accusation eût été bien plus en harmonie avec l’idée du livre.

En voilà assez sur ce sujet si vaste et si difficile. Nous n’avons pas la prétention d’épuiser en quelques pages les réflexions que suggère une histoire, qui est la nôtre et celle du monde contemporain ; nous avons voulu seulement dire quelle était, à notre avis, la véritable origine du XVIIIe siècle, pourquoi il a été athée et destructeur, et quelle situation anormale il a créée. Ceux qui nous supposeraient l’intention d’avoir voulu préconiser la réforme et nous montrer hostile envers le catholicisme se tromperaient d’une étrange façon. Le rêve d’une France protestante ne peut entrer aujourd’hui que dans l’étroit cerveau d’un sectaire ; la France nous semble donc condamnée à vivre longtemps entre ces deux puissances ennemies, le XVIIIe siècle