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il l’est d’une manière ingénieuse, jamais naïvement et avec essor. En revanche, l’auteur connaît son XVIIIe siècle jusque dans ses infiniment petits ; son livre abonde en faits et en anecdotes curieuses, et il y a telles pages, celles sur Bayle, par exemple, qui sont dignes de tout éloge, tant pour l’expression que pour la pensée. Le jeune écrivain a voulu retirer la mémoire de Bayle de l’oubli où elle languit, et il l’a fait très heureusement. Bien des pages ont été écrites sur ce grand citoyen, mais nous ne croyons pas que personne ait payé à cette vénérable mémoire le tribut de reconnaissance qui lui est dû avec autant de délicatesse que le jeune écrivain. Ces trois ou quatre pages sur Bayle brillent précisément par les qualités qui font défaut à M. Lanfrey, une douce sympathie les éclaire, elles sont émues et presque tendres. Puisque M. Lanfrey a si bien compris Bayle, que ne lui emprunte-t-il quelques-unes de ses vertus, la modération par exemple, l’art de comprendre au moyen de l’intelligence les doctrines que notre cœur repousse, et le calme dans la discussion ?

Quant à M. Nicolardot, nous demandons à ne pas lui rendre justice. Être catholique est certainement fort respectable, mais ce n’est pas une raison suffisante pour écrire sur le XVIIIe siècle des livres qui ressemblent à ces inepties révolutionnaires intitulées : Crimes des papes ou Crimes des rois et reines de France, avec lesquelles on a si longtemps entretenu le fanatisme athée de la populace. Ce livre a été écrit dans l’intention de prouver une assertion assez ingénieuse : c’est que Voltaire, et à sa suite les philosophes, les écrivains, les grands seigneurs et les souverains de l’Europe, étaient des fripons et des débauchés. Le XVIIIe siècle est en effet, dans notre opinion, le siècle le plus corrompu qui ait existé dans les temps modernes, parce qu’il est celui où la corruption a été le plus généralement répandue, et cela sans aucun contraste de grandes vertus ou de grands caractères. Les hommes des deux siècles précédens n’étaient pas toujours d’une perfection angélique ; mais à côté de leurs vices ils avaient des vertus étonnantes, et des existences d’une pureté accomplie s’écoulaient au milieu d’un débordement hideux de passions sanglantes et fangeuses. Le XVIIIe siècle n’offre pas un tel spectacle. Le vice y est plus poli, plus humain que dans les périodes précédentes, mais il est plus général, et il n’est racheté par aucune vertu. Voilà ce que devait dire et ce que ne dit pas M. Nicolardot. Une fois cela dit, on peut opposer facilement un nom du XVIIe siècle, par exemple, à chacun des noms que flétrit M. Nicolardot. Il a trouvé plaisant de parler de postdamie à propos de Frédéric ; mais sait-il bien de quoi au XVIIe siècle on accusait le grand Condé, et le prince de Conti, et Monsieur, et Vendôme, et le maréchal de Villars lui-même ?