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Walpole et après lui le premier Pitt se frottent les mains de satisfaction ; Frédéric prodigue le sarcasme et l’outrage au lâche souverain qui régit de nom la France et à la courtisane intrigante qui règne à sa place. À mesure que marche cette longue décadence, la protestation de la France devient de plus en plus violente. On peut suivre pour ainsi dire d’année en année, chez les écrivains de cette époque, les progrès du mécontentement public, simple mécontentement d’abord, mais qui devient successivement de la colère, de la fureur, du délire, de la démence, et qui enfin, dans une dernière transformation, se métamorphose en une soif de carnage inextinguible et en un implacable esprit de vengeance. Dès l’année 1750, cette protestation a pris un caractère définitivement tranché, et, chose remarquable, la situation est tellement irritante, qu’elle communique alors aux écrivains ces haines passionnées et ces ardeurs qui ne semblaient pas devoir appartenir et qui n’appartenaient pas en effet à leur nature mondaine. Guerre à mort à tout ce qui existe, tel est le cri poussé par Voltaire, répété par les encyclopédistes, et auquel répondent les milliers d’échos de l’opinion publique. Guerre à mort à tout ce qui existe, et en attendant ce qui existe devient de plus en plus détestable. À Mme de Pompadour a succédé Mme Dubarry ; la demeure des rois de France devient un lieu de prostitution, et ainsi vont les choses jusqu’à ce qu’enfin elles aboutissent, selon la pittoresque expression du marquis de Mirabeau, à une culbute générale, et que l’ancien régime reçoive son châtiment.

M. Lanfrey a très judicieusement commencé le tableau brillant qu’il a tracé du XVIIIe siècle par la révocation de l’édit de hautes. C’est bien à cette date en effet que commence ce système misérable qui faillit ruiner la France, et en même temps cette toute-puissante réaction qui alla toujours en grossissant jusqu’à la tempête de 89. Seulement il est regrettable que le jeune écrivain n’ait pas retracé la marche parallèle de ce régime, qui devient de plus en plus détestable, et de cette réaction, qui devient de plus en plus formidable. Le XVIIIe siècle, ainsi compris, se justifie de lui-même. Les faits parlent pour l’historien. Le XVIIIe siècle fut comparable à l’effort désespéré d’un homme qui se noie. La France sentit qu’elle allait sombrer, et cela par la faute de ses gouvernails. Tous les pouvoirs, civil, religieux, judiciaire, lui étaient suspects ; elle ne pouvait espérer la justice de ses parlemens, l’héroïsme de son roi, la charité de son clergé. Tous lui apparaissaient comme autant d’emblèmes de lâcheté, de mensonge et de trahison. Si elle voulait ne pas mourir, il lui fallait donc se sauver elle-même. Dans sa détresse, elle écouta avec ardeur et espoir les voix qui lui parlèrent de régénération et de gloire future. Et voilà pourquoi les philosophes furent si puissans. Abandonnée par la monarchie du droit divin et par le clergé représentant