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Elle ne servit qu’à favoriser l’ancien régime ; elle ajouta des insolences nouvelles aux insolences anciennes, des préjugés nouveaux aux préjugés anciens. La noblesse devint de plus en plus impertinente, le clergé de plus en plus intrigant, le peuple de plus en plus mécontent. Une protestation fort différente de celle de la régence était donc nécessaire : elle s’accomplit. Les hommes qui firent cette protestation n’étaient point des saints et des héros ; ils ne vinrent pas comme Luther déchirer la bulle du pape et déclarer en termes passionnés et violens que le règne du mensonge devait enfin cesser ; non, c’étaient des hommes de beaucoup d’esprit, et d’un esprit tout mondain, qui vinrent insinuer ironiquement que les choses n’allaient pas très bien et qu’elles pourraient aller mieux, que les gouvernés n’étaient pas absolument obligés de supporter éternellement les folies des gouvernails, que les sujets n’existaient pas pour être les bêtes de somme de quelques mauvais plaisans titrés et mitres. La protestation se fit d’abord d’une façon assez douce, sous forme d’allusion et d’allégorie, de tragédie et de roman. Œdipe et les Lettres persanes sont les œuvres qui peut-être caractérisent le mieux cette première période du XVIIIe siècle.

Cependant les années passèrent. Un homme, complète incarnation de l’ancien régime, corrompu jusqu’à sa dernière fibre, lâche, libertin et par momens bigot, indifférent au sort de ses sujets et en même temps intolérant par boutades, s’assit sur le trône. Avec ce roi, le plus misérable des souverains qui ait jamais régné, et certainement un des hommes les plus méprisables qui aient jamais vécu, le joug du gouvernement devint insupportable. La France fut de plus en plus mal administrée. La négligence, la paresse, l’injustice et l’arbitraire furent à l’ordre du jour. La royauté française aux expédiens n’échappa à la banqueroute qu’en dupant ses sujets. Grâces à l’absence d’une surveillance supérieure, les mauvaises mœurs régnèrent avec toute la férocité dont elles sont susceptibles. Le dernier des commis du ministère se trouva investi de la puissance de renvoyer à la Bastille par une lettre de cachet son créancier, son ennemi ou le mari gênant qu’il trompait. Cependant il restait encore à cette France si mal gouvernée la gloire militaire et le prestige de ses armes ; mais ce prestige n’exista pas longtemps, Fontenoy ne fut qu’une exception brillante. Partout la France est vaincue, et partout le gouvernement abandonne ses défenseurs. Dupleix délaissé revient en France sans pouvoir obtenir une audience du roi ; Montcalm se défend héroïquement dans les bois du Canada sans que le roi daigne lui envoyer des secours, et les champs de bataille de l’Allemagne sont témoins des revers et pour la première fois de la honte de la France. La nation française décline de plus en plus, à la grande joie des gouvernemens et des peuples que Louis XIV avait humiliés.