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édit de Nantes, qui est connu dans l’histoire sous le nom de concordat.

Ce régime, si véritablement français, vécut un peu moins d’un siècle, succomba sous Louis XIV, et fut remplacé par cette chose honteuse connue sous le nom d’ancien régime. Peu de règnes ont été plus funestes peut-être à la France que celui du grand roi. C’est Louis XIV le premier qui, par ses guerres injustes, a donné à l’Europe cette bizarre croyance dans laquelle beaucoup de gens persistent encore, que la France n’a eu d’autre but que l’asservissement des peuples. Louis XIV, ainsi que nous l’avons dit, trouva une France moderne fondée par Henri IV, consolidée par Richelieu, composée d’un peuple intelligent, industrieux, docile, zélé partisan de la monarchie, d’un clergé pieux, modéré, plein de science et de lumières, d’une noblesse brave, vaillante et polie qui avait cessé d’être oppressive et avait accepté définitivement l’autorité royale. Il laissa une France surannée, remplie d’abus de toute sorte, composée d’un peuple las, fatigué, hébété, déjà anarchiste et ennemi de la monarchie, d’un clergé intrigant, intolérant, mondain, d’une noblesse pleine de préjugés de caste, insolente et abâtardie. L’esprit du roi avait tout perverti. Il avait rendu la monarchie impopulaire en France et brisé l’ancien système de transactions inauguré par Henri IV. Il avait voulu créer une France sur le modèle de son caractère, au lieu de plier son caractère à l’esprit de la France. Il avait commis deux fautes. En plaçant le roi au-dessus des lois et des règles les plus simples de la morale, en en faisant une sorte de divinité qui ne se gouverne pas selon les lois des mortels, en ennoblissant l’adultère et en donnant le rang de princes à des enfans fruits d’illégitimes amours, il avait rendu la monarchie immorale comme le dieu indien pour lequel n’existent ni crimes, ni vertus, ni bien, ni mal. Par l’injuste et inutile révocation de l’édit de Nantes, il avait brisé la tradition française et anéanti l’œuvre de ses prédécesseurs. Par ses guerres continuelles et sa fureur de conquêtes, il avait répandu cette idée fausse, puérile, anti-chrétienne, qui a fait tant de mal à la France, que la gloire était le but de la vie des peuples. Bref, il laissa après lui un amas de corruptions, de superstitions, de préjugés, d’erreurs, d’injustices, qui aurait perdu la France, si la France n’avait pas protesté.

C’est l’histoire de ce bizarre régime et en même temps de la protestation de l’esprit français contre lui, qui remplit tout le XVIIIe siècle. Les protestations de l’esprit humain sont quelquefois étranges, celle du XVIIIe siècle le fut beaucoup. On protesta d’abord par la licence et le débordement des mœurs. Il a été souvent parlé de la réaction dirigée sous la régence contre le système de Louis XIV ; mais en réalité cette réaction, loin de guérir le mal, ne servit qu’à l’aggraver.