dans le fait se décider est presque impossible ; accepter franchement et sans restrictions le XVIIIe siècle serait une décision réellement terrible, et l’esprit se trouble à la seule pensée d’une action aussi audacieuse. On a vu ce fait se produire en France sous la révolution, et le monde a frémi d’horreur. Renoncer au XVIIIe siècle est aussi difficile, car y renoncer, c’est renoncer pour les nations du midi à toutes leurs garanties, à toute leur vie politique. C’est un nœud gordien qu’on ne peut dénouer en le coupant ; il ne peut être dénoué que par la méthode ordinaire, et pour cela il faut une main patiente, qui n’ait pas de mouvemens brusques et nerveux, la main du temps.
Ainsi, et pour nous résumer sur les deux points examinés précédemment, on peut dire que le XVIIIe siècle est le bouc émissaire de l’histoire, chargé d’expier les péchés et les erreurs de l’humanité antérieure. Il porte la peine des fautes commises au XVIe et au XVIIe siècle. Il porte la peine des superstitions de nos ancêtres, de leurs préjugés, de leur trop grande timidité. Les révolutions nécessaires à l’existence de la société moderne s’y accomplissent, mais d’une manière désastreuse et au moyen des instrumens les plus funestes, le despotisme et l’athéisme. L’homme paie de sa liberté l’indépendance du pouvoir politique, et paie de sa conscience morale la destruction du pouvoir sacerdotal, si bien que le jugement hésite en présence de l’histoire de ce siècle, et qu’on peut se demander s’il n’eût peut-être pas été préférable que cette révolution ne fût pas accomplie ? Certes la maladie était grave, mais le remède employé était d’une violence effroyable, et devait être une source de nouvelles maladies dont quelques-unes sont même plus hideuses que toutes celles de l’ancienne société.
Après le despotisme politique et l’athéisme, produits désastreux des antécédens historiques de l’Europe non moins que de la France, un troisième fait, exclusivement français et résultat des erreurs de la monarchie, remplit tout le XVIIIe siècle : le règne et l’agonie de l’ancien régime.
Qu’est-ce que l’ancien régime ? On entend généralement sous ce nom un régime d’erreurs et d’abus, de superstition et d’arbitraire. L’ancien régime fut tel en effet. Quoi donc ! n’y avait-il en France ni droit, ni justice, ni légalité, et doit-on ces bienfaits à la révolution française ? Le XVIIIe siècle, comme beaucoup l’en ont félicité, a-t-il donc inventé la justice ? Non, certes ; mais pendant toute la durée de ce qu’on peut appeler l’ancien régime, la France ignora complètement ce qu’étaient la légalité, les garanties politiques, la tolérance, la piété éclairée, et en revanche elle eut à supporter ce qui lui a toujours paru odieux à juste titre, l’intolérance, le bigotisme, l’hypocrisie, les caprices arbitraires des rois, l’injustice sociale, les préjugés de caste. Ne vous laissez pas prendre à ce mot d'ancien régime,