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celui que nous avons déjà vu dans le coche de la marquise de…, sur la route de Xabregas, et que celle-ci nommait Joãozinho.

— Gaëtano, disait-il au domestique, aide-moi à monter sur le parapet ; je veux voir si maman est à bord du steamer. Elle a écrit qu’elle arriverait aujourd’hui.

— Prenez garde, répondit Gaëtano ; si vous alliez tomber, je serais grondé.

Et, tenant l’enfant par la ceinture, il demeurait derrière lui, fixe comme un piquet et fort ennuyé des mouvemens désordonnés du petit fidalgo.

— Tiens, tiens ! s’écria Joãozinho, qui agitait à tour de bras son chapeau à plumes ; vois donc, Gaëtano, vois donc cette belle dame qui regarde par ici : c’est maman, oh ! oui, c’est elle !

— Ayez patience, répondit tranquillement le valet.

— Oh ! c’est elle. Ne vois-tu pas comme elle me fait signe avec son mouchoir ? Courons donc à la douane.

— Ayez patience, répliqua de nouveau l’indolent domestique, fort peu soucieux de faire cent pas de plus et de se mêler à la foule ; ayez patience : si votre maman est à bord, elle nous verra en passant par ici…

Mais Joãozinho se faufilait déjà au plus épais de la foule avec l’étourderie et l’entêtement d’un enfant gâté. Le domestique, qui n’osait le lâcher pendant une minute, cherchait à modérer son élan ; Joãozinho, de plus en plus animé, lui tirait le bras et lui mordait la main. Il y avait dans ce bambin de quatre ans tous les instincts tyranniques et vaniteux d’un fils de grande maison idolâtré de ses pareils. Charmant vis-à-vis de ceux dont il recherchait les éloges, il se montrait impérieux et dur envers les inférieurs ; aussi une bonne vieille, qu’il coudoyait au passage, s’étant mise à dire : — Oh ! que c’est vilain de maltraiter ainsi ceux qui nous servent !

— Qu’est-ce que cela vous fait, à vous, répondit-il avec arrogance, puisque cet homme est mon domestique ?

Ils arrivèrent donc ainsi, l’un entraînant l’autre, jusque devant le petit jardin de la douane, là où débarquent les passagers des steamers. Dès qu’il vit sa mère toucher le rivage, Joãozinho lui sauta au cou et l’embrassa avec la plus vive tendresse :

— Mère, s’écriait-il à haute voix, si tu savais comme j’ai été sage depuis ton départ ! comme j’ai bien prié le bon Dieu pour toi !… Oh ! comme tu as été longtemps absente, et combien je me suis ennuyé !

La mère pressait avec ravissement sur son cœur cet enfant si gentil, vêtu avec tant de goût et de délicatesse, et qui attirait tous les regards. Après avoir considéré en souriant le petit Joãozinho, chacun levait avec plaisir les yeux sur la mère, qui était fort belle :