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pour ne pas déranger les êtres microscopiques qui s’établissent de préférence dans les chambres exposées au midi. Je fis jouer pendant le reste du jour plusieurs balais et autant de brosses; je multipliai de mon mieux les courans d’air, grâce aux planchers mal joints et aux murs crevassés; je m’emparai d’un lit en fer vernissé dont l’aspect avait quelque chose de rassurant, et, ces dispositions terminées, je pus prendre quelque repos.

On comprend toutefois que je recherchais toutes les occasions de m’éloigner d’un tel domicile, et mes heures de halte à Alexandrette étaient surtout remplies par des promenades sur les bords de la mer. Combien j’eus à regretter alors mon ignorance en histoire naturelle! Je marchais sur une mosaïque de marbres précieux et de pierres resplendissantes. La mer les avait jetés sur la plage avec une multitude de charmans coquillages; elle leur prêtait encore le lustre de sa brillante humidité, sur laquelle les rayons du soleil de Syrie se décomposaient en teintes vagues et changeantes, et miroitaient comme sur des diamans. Je ramassai plusieurs poignées de ces galets et de ces coquillages, je fis même plusieurs voyages des sables à ma chambre pour y déposer ma récolte; mais quelques momens après, je me dis que ces pierres si précieuses à mes yeux n’étaient pour un savant que de grossiers cailloux, et je jetai toute ma collection par la fenêtre.

Un autre spectacle qui excita mon étonnement à Alexandrette, ce fut un petit troupeau de cochons domestiques fouillant et se débattant à leur aise dans un enclos attenant au consulat. Le troupeau appartenait, comme de raison, au consul. Je me souviens de cette rencontre parce que l’un de mes gens, un Arménien du Diarbékir, prit ces animaux pour des chiens d’une espèce fort rare, et qu’il me fut impossible de le faire revenir de son erreur. À ce que je pus comprendre, il se représentait les cochons comme des éléphans à courte trompe.

Au sortir d’Alexandrette, la route s’enfonce presque immédiatement au sud-est dans les montagnes et erre pendant quatre heures dans un labyrinthe de lauriers, de daphnés et de myrtes. La petite ville de Beinam, où nous passâmes la nuit quatre heures après avoir quitté Alexandrette, éparpille ses maisons depuis le fond du ravin jusqu’au sommet des montagnes, occupant ainsi un plus vaste espace qu’il ne convient à sa chétive condition. La maison de campagne du consul anglais, où nous devions descendre, était l’une des dernières de la ville; de la hauteur où elle est placée, on découvre une belle vue. Les montagnes ou plutôt les collines au milieu desquelles nous avions marché depuis Alexandrette gisaient à nos pieds, et nos regards s’arrêtaient au-delà, sur la mer sombre et azurée de Syrie, qu’encadraient capricieusement les sommets festonnés des