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que l’Autriche est l’une des signataires du traité du 2 décembre, que les conditions de paix adoptées par l’Angleterre et la France sont les siennes, et que par ses engagemens mêmes elle n’est plus ni médiatrice, ni neutre. Cette alliance règle sa position et domine les résolutions qu’elle aura à prendre. Aussi l’Autriche ne s’est-elle point séparée un instant de la France et de l’Angleterre dans les conférences, et elle n’a point été la dernière a trouver très dérisoire l’étrange proposition par laquelle le prince Gortchakof a couronné les négociations. Qu’on remarque en outre que par le fait même de l’impossibilité d’arriver à la paix par la voie diplomatique, le traité du 2 décembre, sans autre stipulation nouvelle, devient une alliance offensive et défensive. Mais alors l’Autriche est donc prête à agir et à appuyer par les armes ce qu’elle a soutenu par les négociations ? Rien n’indique en effet qu’il n’en soit point ainsi. Seulement, avant d’en venir là, le cabinet de Vienne veut tenter un suprême effort en adressant un ultimatum à Saint-Pétersbourg, et sur la nature, sur les termes de cet ultimatum, il s’est trouvé encore complètement d’accord avec les plénipotentiaires de la France et de l’Angleterre. Dire en quoi consiste cette pièce serait difficile, on le comprend ; ce qui est certain, c’est qu’elle résume toutes les garanties que l’Europe a réclamées et qu’elle a le droit de réclamer. Un délai flxe de peu de jours pour l’acceptation de cet ultimatum doit être laissé au cabinet de Saint-Petersbourg, et si le Russie persiste encore dans la politique dont elle n’a pas voulu se départir dans les conférences, l’Autriche se trouve dès lors engagée dans i’action commune. Lorsque le cabinet de Vienne faisait parvenir l’an dernier au gouvernement russe ces conditions du 8 août, qui furent repoussées sous leur première forme comme elles viennent de l’être sous leur forme nouvelle, il pouvait rigoureusement ne point voir dans ce refus un motif d’action immédiate ; il n’en avait pas contracté l’obligation. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi, et un refus de la Russie aurait nécessairement pour sanction la coopération de l’Autriche à la guerre.

Quant à la Prusse, sa position est moins nette à coup sûr. Les conférences ont commencé et se sont terminées sans elle. Il est peu probable que le cabinet de Berlin prête un appui très décisif à une œuvre à laquelle il n’a point participé, après avoir refusé jusqu’ici de prendre aucun engagement. Il y a loin de là cependant à une scission avec les puissances occidentales, et même le roi de Prusse, dit-on, se montrerait disposé à presser l’empereur Alexandre II d’accepter l’ultimatum qui doit lui être envoyé, — tout cela, il s’entend, sans aucune obligation ultérieure. En un mot, la neutralité est jusqu’ici le suprême effort de la politique prussienne. Il reste à savoir si cette neutralité sera toujours possible, et si la Prusse ne sera point placée à son tour dans la nécessité impérieuse de prendre une résolution dans son intérêt propre autant que dans l’intérêt de l’Europe. Ce jour-là, s’il doit venir, la Prusse ne sera point d’avis sans doute, comme on l’a dit récemment dans le parlement de Berlin, qu’elle a moins à craindre le tsarisme russe que la France. Dans son ensemble, la situation actuelle de l’Europe peut donc se résumer aisément : tandis que la dernière tentative diplomatique vient d’échouer, la guerre reste la terrible fatalité de l’Occident, et elle ne peut que s’aggraver encore en s’étendant, à moins que, ramenée à des con-