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de la clôture actuelle des détroits, avec la faculté laissée au sultan de faire appel à ses alliés en cas de péril et de leur ouvrir rentrée de la Mer-Noire, c’est-à-dire que la Russie accordait au sultan et à ses alliés une liberté qu’ils sont très capables de prendre par eux-mêmes, comme l’exemple l’a prouvé ; mais c’est justement afin que cette coûteuse et périlleuse expérience ne se renouvelle pas que l’Europe a le droit de placer l’Orient sous des garanties plus sûres et plus inviolables, en le mettant à l’abri des irruptions et des tentatives d’une ambition démesurée. Il y aurait certainement un moyen bien meilleur : ce serait que l’Orient fût fort par lui-même, qu’il put se défendre en opposant une civilisation puissante aux menaces d’envahissement. Malheureusement on ne crée point en un jour cette force et cette civilisation, et voilà pourquoi, à côté de l’Orient tel qu’il est aujourd’hui, il faut une Russie désarmée de sa puissance agressive. Dans cette négociation diplomatique qui vient d’avoir un si triste dénomment, il y a un fait qu’on ne peut s’empêcher de remarquer. Quand la Russie adhérait, il y a quelques mois, aux quatre conditions interprétées par la France, l’Autriche et l’Angleterre, dont l’alliance venait d’être scellée, la l’imitation de sa prépondérance en Orient était au nombre de ces conditions. Elle en acceptait le principe, et on pourrait dire même qu’a ce moment ce principe se présentait sous un aspect plus menaçant pour elle. Comment se fait-il qu’elle rejette absolument, sans discussion, sans laisser voir la mesure possible de ses concessions, ce qu’elle acceptait il y a trois mois ? Cela s’explique très simplement peut-être. La Russie a fait, sous le coup du traité du 2 décembre, ce qu’elle n’a cessé de faire à toutes les périodes de la crise actuelle. Quand elle s’est vue trop pressée par les circonstances, elle a eu l’air de céder ; elle a détourné le péril le plus imminent, elle a arrêté les coalitions plus efficaces prêtes à se nouer, et, le premier moment passé, elle est restée avec l’excès de ses prétentions et l’orgueil de sa politique. C’est à ce jeu de tactique, de subtilités et de faux-fuyans que la Russie joue le repos de l’Europe depuis deux ans, et c’est ainsi que de l’impuissance de chaque négociation renaît fatalement la nécessité de la guerre. La Russie, cela est bien évident, compte sur les difficultés que rencontre notre expédition en Crimée, sur les divisions de l’Europe, sur les crises qui peuvent surgir, sur les neutralités qui la garantissent encore ; elle ne fait que rendre plus saisissant le caractère de la lutte actuelle et en agrandir la portée, en dévoilant ce qu’il y a d’inconciliable entre l’indépendance de l’Occident et la politique des tsars, — et véritablement, on pourrait le dire, si Sébastopol était imprenable, c’est alors surtout qu’il faudrait le prendre.

La conclusion des derniers incidens diplomatiques, à moins d’un retour de la Russie, c’est donc la guerre. Mais dans quelles conditions nouvelles se poursuivra cette guerre ? Quelle influence le résultat des négociations de Vienne exercera-t-il sur la politique de l’Allemagne ? Il ne peut évidemment que préciser et déterminer avec plus de netteté la position de l’Autriche. Après la suspension des travaux de la conférence comme durant les négociations, le cabinet de Vienne reste entièrement d’accord avec les puissances occidentales. On a cherché à représenter l’Autriche comme prête à se rejeter dans la neutralité on disposée à entreprendre une sorte de médiation. C’était oublier