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même à discuter la quatrième condition, relative à l’état des populations chrétiennes en Orient ; elle n’avait qu’à se dissoudre ou à d’ajourner indéfiniment, le refus de la Russie ne laissant a l’Occident d’autre issue que de poursuivre par les armes la conquête d’une solution impossible à réaliser par la voie des transactions diplomatiques. Telle est la situation actuelle des choses.

Le nœud de cette situation, on voit donc clairement où il est aujourd’hui. Aux yeux des gouvernemens de l’Occident, il y a un fait menaçant pour l’équilibre du monde, pour la sécurité et l’indépendance de l’Europe : c’est l’ambition fixe et ardente de la Russie tendant sans cesse à envahir l’Orient, marchant à cette conquête par tous les moyens, par les influences religieuses et les affinités de race, créant à son action des centres presque inexpugnables par ses établissemens militaires, faisant le siège de l’empire ottoman. Cette ambition, ils ont voulu la désarmer sans humilier la Russie dans sa dignité, en lui imposant la destruction de son immense arsenal de la Mer-Noire. Dès lors la pensée à réaliser se trouvait naturellement indiquée ; elle ressort de tous les faits, de toutes les circonstances, de toutes les conditions de la crise actuelle, des nécessités les plus évidentes de la défense de l’Europe, de toutes les considérations de sécurité pour l’Occident. Il y a une chose singulière à remarquer : on a imaginé bien des combinaisons différentes, on a cherché bien des manières de trancher cette terrible question. Un trait commun à la plupart de ces combinaisons et de ces solutions, c’est qu’elles vont directement contre le but qu’on se propose, et que le plus souvent, par une anomalie étrange, c’est le sultan qui paie les frais de la guerre. Que la paix confère a l’Europe le droit de créer de grands établissemens maritimes et militaires en Orient, il n’est pas sûr que la Russie en soit fort inquiétée ; il est certain que ce serait une charge immense pour les gouvernemens de l’Occident, et en définitive quelle serait la puissance atteinte dans son territoire ? Ce serait la Turquie, dont nos armes sont allées défendre l’intégrité. Que la paix proclame l’ouverture des détroits et la liberté de la Mer-Noire : les puissances maritimes de l’Europe peuvent, il est vrai, envoyer leurs vaisseaux dans l’Euxin ; mais en même temps la Russie entre dans la Méditerranée, ses flottes de la Mer-Noire et de la Baltique se rejoignent ; son pavillon peut aller flotter, sur les côtes de la Grèce et dans l’Adriatique, aux yeux des populations qu’elle cherche a subjuguer, et par le fait c’est l’indépendance de la Turquie qui est menacée, c’est Constantinople qui reste exposée à toutes les insultes, a toutes les attaques.

La proposition des gouvernemens alliés, en écartant ces combinaisons, avait le mérite de réduire a des termes simples, pratiques et décisifs la question née de la guerre actuelle, et c’est pour cela sans doute que la Russie a refusé d’y souscrire ; elle n’a point souscrit aux propositions de l’Europe, et, comme l’a dit lord Palmerston dans le parlement, elle n’y a répondu par aucune proposition émanée de son initiative. Par un dernier scrupule cependant, les négociations une fois à peu près rompues, le prince Gortchakof a demandé me réunion nouvelle de la conférence. Un bruit soudain de paix prochaine s’est répandu en Europe. Sait-on quel moyen de transaction offrait le représentant du tsar ? Le prince Gortchakof proposait le maintien